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Snowpiercer, le transperceneige

Adaptation coréenne brillante d’une BD française culte, Snowpiercer file la métaphore de l’humanité en détresse avec un train immense qui fonce dans un désert de glace. Une splendeur visuelle.

Ceux qui survivent prendront le train

C’est une évidence : de tous les moyens de transport, le train est celui que le cinéma préfère, et pas seulement parce qu’il lui a consacré le premier film de son histoire. Les rails ont été recyclés pour faire des travellings, les fenêtres montrent le paysage qui défile comme sur une pellicule, l’extérieur est un spectacle et les passagers sont le public, chaque wagon est un monde en soi...

JPEG - 52.1 koDe plus, le train est un redoutable véhicule de l’inconscient collectif. Jouet de rêve quand il est miniature, c’est aussi un instrument de conquête dans les grands espaces de l’Ouest américain (quand il s’agissait de décimer les bisons par exemple) ou dans les immenses plaines russes (on se souvient du train blindé de Trotsky pendant la guerre civile qui a suivi la Révolution russe). Sans oublier, bien entendu, les wagons à bestiaux qui emmenaient les déportés vers la mort.

Avant de parler du film, il faut rendre hommage à Jean-Marc Rochette, Benjamin Legrand et Jacques Lob, qui ont imaginé cette histoire incroyable dans les toutes dernières années de la guerre froide, en 1984. Sur une Terre congelée, une poignée d’humains survivent dans un train immense condamné à rouler sans fin. Un train composé de castes, les gueux entassés tout au bout et les fortunés à l’avant. Splendide métaphore d’une humanité lancée dans une course folle qui, forcément, finira mal...

Bong Joon Ho s’est appuyé sur ce scénario impeccable en le modernisant à la marge, la guerre nucléaire initiale étant remplacée par une tentative malheureuse de lutte contre le réchauffement climatique. Pour le reste, il s’agit bien d’un combat à mort entre une bande d’insurgés n’ayant plus rien à perdre et tout le système de défense du train, dont la sophistication n’exclut pas la plus grande sauvagerie. L’histoire se déroule donc de l’arrière vers l’avant : quand la locomotive (ici, la Machine) sera atteinte, la fin du film sera proche.

Visuellement, Snowpiercer a beaucoup à voir avec l’univers de Terry Gilliam (un des personnages porte ce nom d’ailleurs). Le contraste est violent entre la crasse misérable des wagons de queue et le luxe grotesque (bar à sushi, sauna, serre tropicale, aquarium géant, salons de coiffure) de l’avant. Le culte du chef, la folie douce de ses subordonnés et la noirceur féroce de l’ensemble rappellent évidemment Brazil, même si on peut regretter quelques scènes inutilement gore, avec gerbes de sang filmées au ralenti.

Snowpiercer est donc un très bon film à qui il ne manque pas grand chose pour devenir un très grand film. Il met superbement en évidence une vérité toute simple que les puissants de ce monde feraient bien de ne pas perdre de vue : même s’ils sont du bon côté du manche, ils vivent dans le même monde que ceux qu’ils exploitent, et un jour ou l’autre, ils devront bien rendre des comptes.