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Mon vrai 12 juillet...

Ce soir-là de l’été 1998, je n’étais ni au Stade de France ni aux Champs-Elysées, mais à Gardanne, et je travaillais. Il y avait des pétards, des cornes de brume, des drapeaux et beaucoup d’incrédulité.

S’il y a quelques éléments autobiographiques dans 12 juillet, j’ai vécu la finale de la coupe du monde dans des conditions bien différentes de celles de Giovanni, Louise et Fred.

Ce soir-là, à Gardanne, j’étais de service pour le journal de la ville (Energies), et je devais faire une brève qui serait intégrée dans le numéro de rentrée (pas de parution en août). Le service jeunesse de la ville avait organisé une projection sur grand écran dans un hangar de deux mille mètres carrés. Il y avait là deux cent personnes environ, et je me souviens que le soleil rasant entrait par des petites fenêtres situées sous le toit et gênait la visibilité.

Un 14 juillet sans feu d’artifice

Des enfants s’amusaient à lancer des pétards sous les chaises. Des cornes de brume résonnaient. Certains agitaient des drapeaux tricolores. Comme dans des milliers de communes en France au moment même. Une sorte de 14 juillet sans feu d’artifice.

Devant moi, une fille blonde portait le maillot bleu avec dans le dos le numéro 17 et le nom de Petit. Signe prémonitoire ? Chaque but était salué par de grands cris, tout le monde debout, on n’entendait plus les commentaires mais ce n’était pas grave.

J’ai essayé de faire quelques photos, mais il y avait peu de lumière et avec l’appareil de secours que j’avais, aucune chance qu’elles soient réussies. L’une d’elle a quand même été publiée.

A la mi-temps, il y a eu une coupure d’électricité qui nous a épargné le tunnel de pub. Certains se demandaient s’ils n’allaient pas se replier sur une terrasse de bar au centre-ville quand le courant est revenu en même temps que les deux équipes.

Le coup du manège

J’ai repensé alors à une anecdote, l’après-midi même. Avec ma compagne et nos deux enfants, âgés alors de cinq et deux ans, nous étions allés nous promener à Fuveau, à dix kilomètres de Gardanne, où nous avions passés six mois en 1992. Dans la rue principale du village, il y avait des manèges. En passant devant l’un d’eux, on s’était dit que si notre aîné demandait à faire un tour de manège (ce qu’il n’aimait pas), alors la France pouvait bien gagner la coupe du monde. Et à notre grande surprise, il nous l’a demandé. Tout était possible, désormais...

J’ai passé la deuxième mi-temps à faire les cent pas. J’étais très inquiet, voir les Bleus se replier sur leur trente derniers mètres et laisser le jeu aux Brésiliens alors qu’il restait trois quarts d’heure me paraissait particulièrement dangereux.

J’espérais un but en contre, mais les tentatives ratées de Guivarc’h et de Dugarry m’ont mis au supplice. Et quand Desailly a été expulsé, j’ai vu le moment où cette finale allait nous glisser entre les doigts. Heureusement, les Brésiliens étaient dans un mauvais soir, Denilson jouait perso, Edmundo passait son temps à hurler sur tout le monde, et les Bleus s’accrochaient sur chaque ballon comme des morts de faim. Sur l’ultime contre qui allait se terminer par le but de Petit, tout le monde chantait déjà, c’était dans la poche, c’était fini.

Une farandole au milieu du cours

Sitôt le coup de sifflet final, la moitié de l’assistance est partie vers le centre-ville où la fête avait commencé en pleine rue. Les terrasses des cafés rejetaient des centaines de personnes de tous âges, femmes, enfants, vieux, la circulation sur le cours de la République était complètement bloquée et les klaxons retentissaient de partout. Au milieu de la chaussée, une sorte de farandole se formait, se décrochait, se reformait encore.

Une fois rentré à la maison, je suis tombé sur Jacquet qui réglait ses comptes avec la presse. Puis j’ai revu une partie du match. Drôle de match, drôle de finale, drôle de soirée. Alors, c’était ça, gagner une coupe du monde. Tant de choses, et finalement si peu. L’impression étrange de vivre un moment d’histoire, que l’on ne reverra plus jamais. Comme une première fois si longtemps attendue et déjà passée.