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L’armée du crime

Le destin tragique de Missak Manouchian et ses franc-tireurs partisans, venus d’Arménie, de Pologne, d’Espagne, de Hongrie, d’Italie et qui se sont battus contre l’occupant Allemand en 1943. Robert Guédiguian en fait une histoire pour aujourd’hui, au prix d’une certaine froideur.

C’est à Ken Loach que Robert Guédiguian est souvent comparé. Cinéaste viscéralement de gauche, toujours du côté du peuple et pour qui la lutte des classes est plus vivante que jamais, le Marseillais s’est lancé le défi de s’attaquer à une des légendes de la Résistance française : Missak Manouchian et ses FTP-MOI (franc-tireurs partisans main d’œuvre immigrée). On comprend pourquoi : d’origine arménienne, né d’une mère allemande et militant communiste, cette histoire fait indirectement partie de la sienne.

Mais là où Ken Loach, dans un Land and Freedom incandescent et généreux, nous faisait vivre au plus près des combattants l’utopie libertaire et la quête désespérée de la guerre d’Espagne, Guédiguian nous tient à distance dans une reconstitution académique et lisse du Paris des années noires de l’Occupation. C’est plus le Guédiguian appliqué et pédagogue du Promeneur du Champ de Mars (sur les derniers mois de François Mitterrand après l’Elysée) que celui des contes de l’Estaque, complice et proche de ses personnages.

Il manque à cette Armée du crime un souffle, une vibration, une empathie qui nous ferait vivre avec eux les heures terribles de Manouchian et ses hommes, entre planques et attentats, toujours sous la menace d’une dénonciation qui les livreraient à la Gestapo. Simon Akbarian et Virginie Ledoyen incarnent bien le couple Manouchian, mais Jean-Pierre Darroussin est moins convainquant en commissaire collabo sans scrupule. Et le (tout petit) rôle de Gérard Meylan, flic et résistant, aurait gagné à prendre plus d’épaisseur.

L’intérêt de l’Armée du crime, tout de même, c’est de faire d’une reconstitution une histoire pour aujourd’hui. Les rafles policières contre les étrangers (y compris par le biais de convocations à la Préfecture), les flics obsédés par le chiffre, la résistance assimilée à du terrorisme, tout cela ne vous rappelle rien ? Guédiguian ose même faire dire à un officier SS qu’il faut « terroriser les terroristes », une des formules-choc de Charles Pasqua au milieu des années 80.

Car au fond, comme Ken Loach, mais dans un autre genre, Guédiguian est un résistant. Rendre hommage à ces étrangers qui ont bien mieux porté les idéeaux de liberté, d’égalité et de fraternité (le magnifique « je n’ai aucune haire contre le peuple allemand » de Manouchian) que des Français haineux et revanchards contre le Front populaire est sa manière à lui de continuer le combat.