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Weather underground

Au début des années 70, ils ont posé des bombes au cœur du pouvoir étatsunien et sont entrés dans la clandestinité pour combattre le racisme, l’impérialisme et le terrorisme d’Etat. C’était le Weather Underground.

Attaquer l’empire de l’intérieur

Il fallait être fou, ou idéaliste, ou inconscient. Au cœur des années soixante, alors que le FBI, la CIA et tout l’appareil d’Etat sont à leurs trousses, les étudiants du SDS (Students for a Democratic Society) décident d’entrer dans la clandestinité et de défier le pouvoir d’Etat. Et ce, en posant des bombes dans les lieux de pouvoir comme le Pentagone, le Capitole, des commissariats ou des lieux symboliques comme le monument à la gloire de la police sur Haymarket Square à Chicago. Et ce, à la plus grande fureur de J. Edgar Hoover, obsédé par l’extrême gauche alors même que le patron du FBI prétendait que la Mafia n’existait pas…

Dan Berger a rencontré de nombreux militants du Weather Underground, dont David Gilbert, qui purge toujours une peine de prison à Attica, lieu d’une sanglante révolte de détenus en 1971 terminée par la mort de vingt-neuf prisonniers et dix gardiens. David Gilbert purge depuis 1981 une peine de 75 ans de prison pour avoir participé (en tant que chauffeur) à un braquage d’un camion de la Brink’s terminé par la mort d’un convoyeur et de deux policiers.

En réalité, David Gilbert est un prisonnier politique. Etudiant activiste dans les années soixante, il rejoint le Weather Underground en 1970 et passe dans la clandestinité pendant plus de dix ans. Il est l’auteur du permier pamphlet contre l’impérialisme américain en 1967.

Le livre de Dan Berger raconte comment le mouvement étudiant des années soixante, le SDS, s’est progressivement radicalisé au contact des mouvements noirs notamment, et en réaction à l’intervention armée américaine au Vietnam. Il ne vient pas de nulle part : dans les années cinquante, les mouvements antiségrégation se développent, notamment dans les Etats du sud. Il reprendra enfin à son compte les luttes féministes, homosexuelles et anticapitalistes.

Même s’il a connu des soubresauts et des ratés propres au radicalisme de l’époque (autocritiques violentes, scissions permanentes en groupuscule, autoritarisme, machisme), le Weather Underground a eu l’immense mérite d’incarner une résistance intérieure au système, dont on sait depuis (effondrement des régimes sous domination soviétique en 1989, printemps arabe depuis 2011) qu’elle est le moyen de lutte le plus efficace.

Surtout, comme l’explique Berger, la Weather Underground Organization était sur bien des points en avance sur son temps : sur la question du racisme et de la suprématie blanche aux Etats-Unis, sur l’impérialisme (l’Irak et l’Afghanistan sont passés par là), sur les questions de genre, sur le terrorisme d’Etat (les lois liberticides après le 11-Septembre, Guantanamo et les prisons contrôlées par la CIA en territoires étrangers) et sur l’industrie carcérale qui prospère : les Etats-Unis, rappelle Berger, représentent 5% de la population mondiale mais 25% du total des prisonniers, soit 2,1 millions de détenus.

Enfin, Le Weather Underground a aussi été très actif dans le domaine médiatique, bien avant l’invention et la généralisation d’Internet : un premier communiqué retentissant le 21 mai 1970, A Declatarion of State of War (une déclaration d’état de guerre, rien que ça), la publication clandestine du livre Prairie Fire, et la sortie du trimestriel Osawatomie, du nom d’une ville du Kansas, siège en 1856 d’une bataille (victorieuse) du mouvement antiesclavagiste emmené par John Brown.