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Wall-E

Film ambitieux pétri de contradictions, à l’image des studios Pixar rachetés par Disney, Wall-E éblouit avant de décevoir. Démarré comme un plaidoyer féroce et créatif contre le consumérisme morbide, il s’englue peu à peu dans une guimauve consensuelle au cours d’une deuxième partie ennuyeuse et convenue.

Tri sélectif

Jusqu’où peut-on être critique sur la société d’hyperconsommation quand on appartient à la Walt Disney Company ? Jusqu’à la fin de la première demi-heure de Wall-E. Durant ces trente minutes exceptionnelles, les créatifs des studios Pixar dynamitent avec bonheur tous les classiques de l’animation : paysages apocalyptiques d’une Terre dévastée qui rappellent les grands moments de Terry Gilliam, personnage principal hybride entre Chaplin et E.T, utilisation du flou et de la profondeur de champ dans l’image, suppression des dialogues. A ce moment-là, Wall-E tient de l’épure dans la forme et du radicalisme dans le fond.

Cette planète que les humains ont abandonnée n’a pas été détruite par une quelconque guerre nucléaire, ni vidée de sa population par une épidémie ravageuse ou par une météorite meurtrière. Là, ce sont les déchets qui ont littéralement enseveli tout projet de civilisation et asphyxié tout espoir de vie.

Des pyramides d’ordures sous un ciel jaune

Ne restent donc, sous un ciel jaune balayé par des tempêtes de poussière, que des pyramides d’ordures compressées à perte de vue. Et une petite machine montée sur chenilles et équipée de jumelles, Wall-E, qui continue inexorablement son travail : avaler des détritus et en faire des parallélépipèdes.

L’arrivée, dans ce paysage de cauchemar, d’une créature extraterrestre baptisée EVE aux formes rondes et immaculées, ne change pas la donne. Il faut d’ailleurs saluer l’extraordinaire capacité des créateurs de Pixar de donner à des machines des attitudes et des réactions humaines. Tout est affaire de mise en scène, d’observation des moindres détails et d’une gestuelle propre au cinéma muet.

Wall-E et EVE vont lentement apprendre à se connaître, à se comprendre, jusqu’à ce que la mission rappelle à l’ordre la belle. Et aussi le film : c’est un divertissement familial, après tout, il faut de l’action, de l’aventure, des bons et des méchants. Assez rigolé.

Des choses caoutchouteuses et interchangeables

Dès lors, le projet de départ n’a plus d’importance. Comme souvent chez Pixar, le contraste entre les objets animés, jouets ou autres créatures, et les humains est cruel pour ces derniers, qui ressemblent au mieux à des choses caoutchouteuses et interchangeables (c’était déjà le cas dans Toy Story) fondamentalement laides et sans intérêt. Le film devient bavard, s’enfonce dans les clichés et se perd dans des scènes d’action sans queue ni tête.

Et c’est bien dommage, car le vaisseau spatial dans lequel se sont réfugiés les humains depuis six siècles, un compromis monstrueux de centre commercial, de parc d’attraction et de salle d’opération hyperstérile, aurait pu constituer le décor inverse et complémentaire de la première partie. Les déchets d’un côté, le temple du loisir et de la consommation de l’autre. Mais les espèces de boudins impotents qui se déplacent sur des fauteuils volants n’inspirent ni rire ni dégoût. Ils sont laids, interchangeables et sans aucun trait de caractère qui les hisserait au rang de personnage.

La contradiction inhérente à Wall-E ressemble trait pour trait à celle de Pixar : fondée en 1986 par Steve Jobs qui venait d’être débarqué d’Apple, elle donne un nouveau souffle au cinéma d’animation avec une série de courts-métrages tout d’abord, puis des longs comme Toy Story ou Monstres et Compagnie. Pour ces derniers, elle s’appuie sur la logistique de Disney, notamment pour la distribution des films. Mais en janvier 2006, Disney, en perte de vitesse, achète Pixar. Et encaissera les bénéfices générés par la vision grinçante et désabusée de Wall-E. La boucle est bouclée.