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Un homme à abattre

En 2007, le journaliste de France Inter Benoît Collombat publiait le fruit de cinq années de contre-enquête sur la mort de Robert Boulin, ministre de Giscard retrouvé suicidé dans cinquante centimètres d’eau. Déprimant.

Ils sont beaux, les gaullistes

Les années soixante-dix ne sont pas les plus glorieuses de la cinquième république, c’est rien de le dire. Après la mort de Jean de Broglie en 1976, et avant celle de Joseph Fontanet en 1980, la disparition dans des conditions particulièrement douteuses de Robert Boulin dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979 nous rappelle opportunément ce que furent les réseaux gaullistes et notamment le SAC (service action civique).

Rappelons tout d’abord que Robert Boulin, ministre du Travail et de la participation du gouvernement Barre, était pressenti pour être nommé à Matignon par le président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, dont le mandat s’achevait deux ans plus tard. Mais à l’été 1979, en pleine guerre d’influence entre le RPR fondé par Jacques Chirac et la majorité gouvernementale (qui compte encore quelques gaullistes historiques, comme Boulin), le ministre du Travail est éclaboussé par une affaire immobilière à Ramatuelle, sur la Côte d’Azur. Dès cet instant, Boulin est dans le collimateur des chiraquiens qui visent aussi Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale et ex-candidat à l’Elysée en 1974 (il avait été trahi par Chirac qui avait rallié Giscard).

Ce que raconte Benoît Collombat dans une contre-enquête classique (publiée en mars 2007) sur la forme mais extrêmement rigoureuse et documentée sur le fond, c’est que la thèse du suicide avancée très vite par la police et le gouvernement ne tient pas. Le journaliste de France Inter n’a pas suffisamment d’éléments pour imaginer ce qui a pu se passer, même s’il donne des pistes vraisemblables, comme celle qui mène au financement occulte du RPR par des commissions venues du Gabon et de l’entreprise pétrolière Elf. Mais il démontre de façon très claire que Boulin ne s’est pas suicidé, qu’il a été assassiné et que ce crime a pris les dimensions d’une affaire d’Etat.

Un peu comme lors de l’assassinat de John Kennedy, l’enquête a été bâclée dans des proportions inimaginables, comme si, avant même la découverte officielle du corps, il était entendu que c’était un suicide et que rien ne devait infirmer cette hypothèse. Quitte à détruire des pièces essentielles ou à ne pas interroger des témoins clés. Benoît Collombat relève méthodiquement la liste des négligences, le mot est faible, depuis l’absence de relevé d’empreintes digitales sur le véhicule du ministre à l’absence d’autopsie digne de ce nom, en passant par les approximations sur la reconstitution des dernières heures de la vie de Robert Boulin.

Le mérite du journaliste de France Inter est d’autant plus grand que de nombreux témoins essentiels ont perdu subitement la mémoire ou préfèrent ne pas donner de détails, comme si une menace planait toujours au-dessus de leur tête. Ce qui fait quand même beaucoup de paranoïaques pour évoquer, rappelons-le, ce qui n’est censé être qu’un suicide.

Nous sommes en 2012. Robert Boulin est mort depuis bientôt 33 ans et l’affaire n’est toujours pas résolue. Valéry Giscard d’Estaing, 86 ans, et Jacques Chirac, 79 ans, sont toujours vivants et siègent au Conseil constitutionnel. Tout est en ordre.