Domenech, son tour des Bleus en solitaire

Publié le 6 décembre 2012 - Bruno Colombari

De Rennes à Bloemfontein, Raymond Domenech a navigué pendant six ans seul à la barre des Bleus. C’est cette grande traversée, avec ses instants de bonheur et ses catastrophes en série que l’ancien sélectionneur raconte dans Tout seul (Flammarion).

3 minutes de lecture

On pourra reprocher ce qu’on voudra à Raymond Domenech, probablement le sélectionneur des Bleus le plus décrié de l’après-guerre : ses maladresses, ses choix malheureux, ses gaffes médiatiques, ses renoncements face aux ex-champions du monde, son obstination à rester en place envers et contre tout.

S’en tenir là ne serait pas faire justice à l’homme, à son intelligence, à sa volonté de protéger les joueurs même s’ils ne le méritaient pas, à sa détermination d’aller au bout de sa mission quel qu’en soit le prix. Et pour finir, à sa capacité à analyser froidement le désastre avec un regard sur lui-même sans concession, chose extrêmement rare dans ce milieu narcissique et égocentrique.

Materazzi et Knysna

De plus, et ce n’est pas accessoire, Tout seul est bien écrit et adroitement construit en flash-back à partir du clash grotesque de Knysna. Dans vingt ans, dans trente ans, c’est probablement l’image de ce bus garé sur une pelouse qui restera des six années de Domenech sélectionneur, ça et le coup de tête de Zidane dans le thorax de Materazzi à Berlin. Raymond le sait bien, c’est en grande partie pour savoir ce qui s’est vraiment passé lors de cet invraisemblable dimanche 20 juin 2010 (et à la mi-temps de France-Mexique trois jours plus tôt) qu’une grande partie de ses lecteurs achèteront Tout seul.

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Une fois racontée « la seule action collective des Bleus en Afrique du Sud », comme le fera justement remarquer un journaliste sur place, Domenech reprend la chronologie de son mandat, en commençant par le jour où est née sa fille, Victoire, pendant qu’il attendait au téléphone un appel de Claude Simonet lui annonçant que ce serait lui le nouveau sélectionneur des Bleus. Nous sommes le 11 juillet 2004, et évidemment l’ex-joueur de Lyon ne se doute pas de ce qui l’attend : « je suis soulagé, euphorique, mais épuisé. Et je sais que demain sera un autre jour. »

Très vite, les ennuis commencent : le renouvellement du staff technique (pléthorique, déjà) ne fait pas que des heureux, et les nouvelles méthodes que Domenech met en place dressent déjà le vestiaire contre lui. Le respect des horaires, le port des protège-tibias à l’entraînement sont pourtant des mesures de bon sens, la séance d’autocritique d’après-match un peu moins. Le choix de faire appel au très contesté Jean-Pierre Doly, qualifié de « sorte de DRH du staff » et qui sévit encore chez les féminines, laisse songeur.

Bonjour Zidane, adieu la reconstruction

Vient ensuite l’épisode du retour de Zidane, à l’été 2005. Raymond Domenech décrit par le détail tout son travail d’approche, de négociations, de mise en confiance, qui finit par déboucher sur le retour de l’idole ainsi que celui de Thuram et de Makelele. Grâce à eux, les Bleus se qualifient pour le Mondial 2006, mais le travail de reconstruction entamé en 2004 est cassé net.

Juste avant le premier match contre la Suisse, Domenech cite Saint-Exupéry dans le vestiaire. « J’ai conclu : « il n’y a pas de solutions, il y a des forces en marche. Il faut les créer, et les solutions suivent ». Amen. Pour ceux qui n’ont pas compris, j’ai dû un peu expliquer. » Les forces vont mettre du temps à marcher, mais une fois lancées, elles ne s’arrêteront qu’en prolongations de la finale, dans un choc frontal entre Zidane et un défenseur italien. « Il s’est préparé pour la dernière fois, s’est habillé pour la dernière fois. Et je continue de me demander s’il n’a pas, jusqu’au bout, choisi sa dernière fois. »

Dès lors, Domenech a mangé son pain blanc, et il n’écoute pas Estelle Denis, sa compagne, qui lui conseille d’arrêter. La tentation l’effleure en septembre, après une belle victoire au goût de revanche face à l’Italie (3-1), et sans Zidane. « Je les vois bien, les nuages qui commencent à s’amonceler au loin, avec une équipe qu’il faut à la fois maintenir et reconstruire. Mais je continue quand même de croire qu’on peut faire quelque chose de grand. » Erreur.

Bonnes intuitions, mauvais choix

Le plus étonnant, dans ces 360 pages qui se lisent très vite, c’est de voir à quel point le sélectionneur était à ce point sensible aux signes prémonitoires, ou interprétés comme tels, et si peu à l’écoute de ses intuitions. C’est sans doute la principale différence entre lui et Hidalgo ou Jacquet. Combien de fois, dans Tout seul, Domenech affirme (avec le recul, c’est plus facile, mais encore faut-il le reconnaître) avoir pressenti que tel joueur était une bombe à retardement (Ribéry), ou tel autre un individualiste forcené je-m’en-foutiste (Anelka) ? Et pourtant, combien de fois a-t-il fait les mauvais choix ?

Le pire de tous aura certainement été de rester en place après le fiasco de l’Euro 2008, où la trame du scénario sud-africain est déjà visible : une vieille gloire hors d’état de jouer qui étale ses états d’âme (Vieira avant Henry), des incompatibilités d’humeur entre coéquipiers (Ribéry et Nasri avant Gourcuff et Ribéry), un jeu collectif inexistant, un mental en mie de pain... De l’été 2008 à 2010, Raymond Domenech aura connu un enfer permanent, lâché par un président Escalettes complètement dépassé, usé par les prétentions insupportables de joueurs immatures et guetté au coin du bois par une presse qui ne lui passe rien.

Deux ans et demi ont passé depuis Knysna. Avec à peu près les mêmes protagonistes, Laurent Blanc n’a pas fait mieux en Ukraine. « Car les mêmes causes produisent les mêmes effets. » Allez, va, Raymond, t’es pas tout seul. Et bon courage, Didier.

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