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Swan Peak

Dans la nature sauvage du Montana, Dave Robicheaux et Clete Purcel sont une fois de plus rattrapés par leur passé, et croisent la route d’un prisonnier en fuite et de milliardaires mafieux. Un grand James Lee Burke marqué du sceau de la rédemption.

Et au milieu coule une rivière

Le Texas, la Louisiane et le Montana forment la trilogie géographique de l’existence et de l’œuvre de James Lee Burke. Dans Swan Peak, il installe Dave Robicheaux et Clete Purcel dans les forêts profondes et les rivières glacées du Montana où lui même s’est installé à demeure depuis que l’ouragan Katrina et l’administration Bush ont dévasté Big Sleazy, à savoir la Nouvelle Orleans qu’il aime tant. Car chez Burke, la violence sociale est toujours présente en toile de fond.

Quand les gens parlent de lutte des classes, ils se trompent complètement. La lutte n’a jamais été entre les classes. Elle est entre les démunis et les démunis. Les gens de la maison sur la colline regardent ça de loin, si tant est qu’ils regardent. Ou du moins c’est comme ça que ça se passait dans le Sud à l’époque où j’y ai grandi. [1]

Plus encore que le delta du Mississipi, le Montana incarne aux yeux de Burke l’Amérique des origines, celle des grands espaces et d’une nature édénique dépourvue de toute trace humaine. Mais bien sûr, ce n’est qu’une illusion, un rêve perdu, et la froide réalité rattrape bien vite les deux flics amateurs de pêche à la truite quand l’un d’eux s’introduit sans le savoir dans une immense propriété privée.

L’air sentait le bois, la fougère humide, la pierre froide, l’humus qui reste toujours à l’ombre et la vapeur irisée dérivant sur les rochers au milieu du courant. L’odeur d’un air qui n’avait jamais été pollué par les produits chimiques de l’ère industrielle. Il sentait comme sentait la terre, sans doute, le premier jour de la Création.

Comme souvent dans les romans de Burke, l’intrigue est faite de nombreuses trajectoires complexes et sinueuses, nourrie d’un passé traumatique (les séquelles du Vietnam, des hommes mutilés, des femmes martyrisées dans leur enfance) et de soif de vengeance. Mais, là où l’auteur innove (privilège de l’âge alors qu’il va sur se 76 ans ?), c’est qu’il laisse à ses personnages une chance de se racheter.

On n’en dira pas plus afin de ne pas dévoiler l’intrigue, mais la noirceur habituelle des romans de Burke laisse ici la place à quelque chose de différent, de plus apaisé, comme une tentative de rédemption. Une femme dit à un homme qu’elle aime qu’il est fondamentalement bon quelle que soit le mal qu’on lui ait fait, et petit à petit, on voit cet homme, décrit au début comme une machine à tuer, se dépouiller de sa haine.

Swan Peak aborde aussi de manière très intéressante la question de l’identité, brouillant un peu plus les contours habituellement bien dessinés entre le bien et le mal qui traversent toute la littérature américaine. Des personnes que l’on croit disparues ressurgissent sous un autre nom, un criminel sadique œuvre derrière un masque grimaçant, une ancienne chanteuse de blues tente de refaire sa vie en épousant le fils d’un milliardaire texan : tout le roman est un théâtre d’ombres vibrant d’une tension qui monte et émaillé d’explosions de violence. Le tout dans le cadre somptueux et oppressant du Montana, sous une voute céleste infinie.

Nous sommes la bille bleue au milieu du système solaire, entourée d’eau et de vapeur, mais aussi d’étoiles. Ces mêmes étoiles que je voyais par la fenêtre brillaient au-dessus de nous tous […], les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, les Heureux et les Damnés, ceux qui, dès l’utérus, étaient différents, ceux qui maudissaient le jour de leur naissance et ceux pour qui chaque aube était remplie d’espoir. Les étoiles enveloppaient la totalité de la planète, couvrant un désert où les hommes se tuent au nom de Dieu sur fond de puits de pétrole brûlant à l’horizon tandis que d’autres versent de l’essence dans leur SUV en croyant, dans leur innocence, que la terre et ses ressources sont inépuisables.

[1Ce qui rejoint tout à fait le propos de l’historien Howard Zinn dans son livre Une histoire populaire des Etats-Unis où il raconte comment les classes possédantes ont monté les prolétaires blancs contre les esclaves Noirs.