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Sunset Park

Dans son dix-septième roman, Paul Auster décrit les Etats-Unis à travers le prisme de la précarité, qu’elle soit familiale, professionnelle, amoureuse ou immobilière. Ecrit pendant la crise des subprimes, Sunset Park fait marcher ses personnages sur un fil et la chute n’est jamais loin.

Rien ne se crée, rien ne se transforme, tout se perd

Paul Auster est comme un ami cher qui donne de ses nouvelles de temps à autre et dont on ne se lasse pas d’écouter les dernières aventures. Après trois romans mineurs, voire décevants (Dans le scriptorium en 2007, Seul dans le noir en 2009 et Invisible en 2010), on attendait beaucoup de ce Sunset Park prometteur, puisqu’écrit au plus chaud de la crise des subprimes qui a dévasté les Etats-Unis en 2007-2008.

On le sait, elle a mis des millions d’Etatsuniens à la porte de leur maison dont ils n’avaient pas fini de payer les traites. Un million de maisons sont saisies encore chaque année aux Etats-Unis. Après les attentats du 11-Septembre en 2001 et l’ouragan Katrina en 2005, la crise des subprimes a bouclé une décennie cauchemardesque outre-Atlantique. Au début de Sunset Park, Paul Auster décrit longuement ces maisons abandonnées dans lesquelles subsistent des vestiges de l’American Way of life, et que des débarrasseurs sont chargés de vider.

Certaines semblent avoir été quittées dans la précipitation, comme si leurs occupants avaient fui devant une catastrophe annoncée. D’autres, perdu pour perdu (puisque ce sont les banques qui récupèrent les maisons hypothéquées), ont pris soin avant de partir de dévaster la plomberie, l’électricité, les sanitaires, cassant les vitres, déchirant les tapisseries et souillant la moquette.

Ce n’est pas pour rien que Miles Heller travaille au début du roman comme débarrasseur de maisons, et qu’il quitte à la fin un squat new-yorkais dans des circonstances qu’on vous laissera découvrir. Sunset Park est un roman choral dont chaque partie porte le nom d’un protagoniste, et qui s’articule autour d’une maison délabrée de Brooklyn, juste en face du cimetière Green-Wood. Trois jeunes adultes dont les ressources ne leur permettent plus de se loger y squattent, bientôt rejoints par un quatrième, Miles, dont on va suivre l’histoire.

Comme souvent chez Paul Auster, cette histoire serait banale sans les accidents qui lui font prendre des bifurcations inattendues, parfois heureuses, souvent tragiques. Ce fameux hasard, cœur de l’œuvre austérienne, qui fait se rencontrer Miles et la très jeune Pilar, tellement jeune (elle n’a pas dix-huit ans) qu’elle met Miles à la merci d’une dénonciation à la police, et qui va l’obliger, comme sept ans auparavant, à prendre une nouvelle fois la fuite.

Le plus réussi, dans Sunset Park, est la description de cet amour absolu, incandescent, total entre un homme de 28 ans et une fille de 17. Avant de quitter son amant pour une durée de trois mois, Pilar tente de mesurer la dimension du vide :

Maintenant qu’il s’agit de trois mois, c’est tout juste si elle peut plier son esprit à cette pensée : trois mois avant qu’elle puisse le revoir, ce sera comme vivre dans les limbes, comme partir en vacances en enfer, et tout ça à cause d’une stupidité de date sur son acte de naissance, d’un chiffre arbitraire, d’un chiffre irrationnel qui n’a aucun sens pour qui que ce soit.

D’entrée on pressent que cette liaison lumineuse est condamnée, que dans une Amérique en ruines un amour si pur est une utopie. On vous laisse le plaisir d’en découvrir l’issue.