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Silvain Gire : « Arte Radio, c’est un coffre à histoires »

Plus de mille sons à écouter ou à télécharger sur arteradio.com : entretien à Marseille avec un de ses fondateurs, Silvain Gire, qui nous explique comment ça marche. Article paru dans le webmagazine envrak.fr.

Vous connaissez Arte, la chaîne de télé, mais la radio ? Présente uniquement sur le web, Arte Radio diffuse depuis 2002 non pas des programmes, mais des reportages et des créations sonores (cinq ou six nouveautés par semaine) sans commentaire mais pas sans intérêt : des relations amoureuses à l’actualité politique en passant par les conditions de travail, les petites choses de la vie, les bruits de la rue, la création musicale, tout ce qui s’entend est ici travaillé, mixé, tricoté et habillé avec un soin du détail dont pourraient s’inspirer de grandes stations généralistes. En signature de chaque son, tel un ruban autour d’un paquet cadeau, on retrouve la voix chuchotante de Sylvie Caspar, la speakrine d’Arte. Le tout est disponible à l’écoute, en flux ou au téléchargement.

Nous avons rencontré Silvain Gire le 29 septembre à Marseille, sur une terrasse à la Friche de la Belle de Mai qui longe les voies de la gare Saint-Charles. Pendant la conversation, on entendait les grincements suraigus des freins des wagons tous proches, et dans les moments plus calmes, des bribes d’une conversation en anglais. Et quelques heures plus tard, dans un auditorium de la bibliothèque de l’Alcazar, il présentait Qui a vendu la République ? un des derniers reportages réalisés dans le cadre de Marseille sur écoute, devant une cinquantaine de personnes.

Où en est Arte Radio sept ans après sa création ? Le projet de départ a-t-il évolué ?

On n’est pas encore très connus, mais on peut dire que nous sommes des pionniers de la création radio sur le web. Nous sommes la première radio à avoir proposé du podcast, dès 2002. Notre volonté, à Christophe Rault et moi-même, c’était de ne surtout pas faire ce qui se faisait ailleurs. C’est pour ça qu’on n’a pas de pub, des auteurs rémunérés et des contenus en creative commons [libres de droit sous conditions, ndlr]. On a une vraie reconnaissance au niveau européen, avec le prix Europa en 2008 dans la catégorie radio, on a fait une coproduction inédite et bilingue avec la BBC, et on a 400 000 visites par mois. Avec un projet exigeant, sans vidéo. On a aussi développé le rap dans le cadre de Marseille sur écoute. Mais on n’a pas fait de session acoustique en studio, tout le monde le fait. Nous avons travaillé sur le son avec des chanteurs et des musiciens, et l’instrumental est fait avec les bruits de la ville, comme le tramway par exemple. Dans nos projets, on va travailler avec un ensemble vocal contemporain, Les cris de Paris. On est en train d’écrire une pièce de trois minutes pour cinq voix, et le texte, c’est un CV. En fait, à côté des œuvres radiophoniques, on invente des petites choses comme ça qui n’ont pas encore de nom.

Comment se gère la durée quand on n’a pas les mêmes contraintes de temps qu’une radio ordinaire ?

Au début, je disais qu’il fallait faire court. C’est une erreur, on peut faire long aussi. Qui a connu Lolita ?, ça fait 49 minutes, c’est le sujet le plus long qu’on ait fait. C’est l’un des plus écoutés du site. La série le Bocal, qui fait 65 minutes en tout sur 18 épisodes, c’est très écouté aussi. Il faut faire les deux, des formats courts et des longs. C’est l’auditeur qui décide. On peut écouter les sujets dans le train, dans le métro, ou chez soi sur son ordinateur. Nous avons beaucoup d’abonnés au podcast, mais on ne sait pas ce qu’ils font des sons une fois qu’ils les ont récupérés. L’avantage d’Internet, c’est qu’il n’y a pas de contrainte de format.

Silvain Gire

Comment les sujets arrivent-ils ? Ce sont des commandes, ou des propositions toutes faites ?

On ne prend pas des trucs tout faits. On fait travailler beaucoup de monde, des débutants aussi, on en repère via les audioblogs qu’on a mis à disposition. Mais si on m’envoie un sujet, ça ne suffit pas. Ce que je veux, c’est un projet, c’est-à-dire un sujet avec un point de vue. Il faut de la mise en scène. Par exemple, un sujet sur un sans-papier qui raconte sa vie, ça ne m’intéresse pas. Un sans-papier qui lit en studio, dans de bonnes conditions d’enregistrement, sans bruits de fond, la lettre que la préfecture lui a envoyée, signifiant son expulsion prochaine, ça c’est un projet. Arte Radio, au fond, c’est un coffre à histoires.

Qu’est-ce qui fait la particularité de la radio ?

La force de la radio, c’est que tu n’imposes rien. Les gens se sentent plus en confiance avec le micro, on ne les juge pas à leur apparence, on leur laisse le temps d’exister sur la durée. Ce qui rend crédible et proche un sans-papier, c’est qu’il n’est pas qu’un sans-papier. En fait, Arte Radio est un site de rencontres. Dans Grand Amour, on entend une grand-mère de 82 ans qui vient de découvrir l’orgasme. En l’écoutant, on se sent proche d’elle. Il y a une part de nous-même dans ce qu’elle raconte. Les gens qui font des sujets pour Arte Radio ne sont pas des journalistes : ils font un travail personnel, intime parfois. Et on ne veut pas de paroles d’experts, de gens qui sortent des références culturelles sans arrêt. L’équivalent papier d’Arte Radio, c’est la revue XXI. Ils font des reportages sans photos, on fait de la radio sans musique. Dans les deux cas, ce qu’on propose, c’est de la lecture, pas du prémâché. On n’a de complaisance ni avec les auteurs, ni avec les auditeurs. On ne fait pas n’importe quoi, je valide tous les montages. On paie bien mais on est exigeant. On n’a pas inventé la création radiophonique, on l’a juste diffusée autrement. Et comme on produit en moyenne une heure de sons par semaine, on a du temps. Mais il faut que la qualité soit là, parce qu’on n’est pas écouté dans les bagnoles, la plupart de nos auditeurs nous écoutent au casque sur leur baladeur.

Dans quelle lignée s’inscrit Arte Radio ? De qui est-elle l’héritière ?

Le début de la radio élaborée, c’est en 1948 avec le club d’essai sur la RTF, avec Pierre Schaeffer et Jean Tardieu. Ils n’avaient aucune contrainte, ils faisaient ce qu’ils voulaient, un peu comme nous maintenant. Puis, il y a eu Pierre Tchernia, puis l’atelier de création radiophonique de Yann Paranthoën, un maître à qui nous avons rendu hommage. Il y a eu aussi l’Oreille en coin sur France Inter... Nos réalisateurs sont aussi musiciens, ils ont le sens du rythme, ils utilisent les acquis du sampling, du hip-hop. On a mis à l’honneur l’art du montage, d’ailleurs les photographes aiment beaucoup notre travail alors qu’il n’y a pas de photos, mais c’est un peu l’équivalent du cadrage ou de la série de clichés qu’un photographe propose dans une expo.

Anouk Batard (à droite) en reportage pour la série Marseille sur écoute

Arte Radio participe à des festivals, organise des temps d’écoute en public comme à Marseille en ce moment...

C’est important pour nous. En général, les gens qui podcastent écoutent de façon isolée, un casque sur les oreilles qui les coupent de l’extérieur. Or, c’est très agréable d’écouter quelque chose ensemble. C’est un peu comme au cinéma par rapport à la télé, à plusieurs, l’émotion est plus forte. Orson Welles disait : “je préfère la radio au cinéma parce que l’image est plus grande.” On s’arrange pour que les gens soient installés en rond, ou couchés, qu’ils puissent se fabriquer des images mentales. On laisse beaucoup de place au silence, et ça c’est important, c’est aussi laisser la place à l’auditeur, ça lui permet de mettre en doute ce qu’il entend.

Comment s’est passée la collaboration avec Radio Grenouille ?

Pour les trois documentaires longs, on a réuni Marseillais et Parisiens. Les auteurs d’Arte Radio sont venus à Marseille une semaine par mois pendant sept mois, en résidence à la Friche de la Belle de Mai. Chacun a profité de l’expérience de l’autre. On s’est amusés avec les clichés sur Marseille, sans chercher à les éviter. Grenouille a trouvé les trois rappeurs de trois âges différents, 20, 30 et 40 ans, et leurs textes parlent des mêmes choses que les documentaires. Nous, on a envie de continuer à travailler avec Grenouille l’année prochaine.

Le site d’Arte Radio : www.arteradio.com

Le site de Radio Grenouille (écoute en ligne) : www.grenouille888.org