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Shakespeare et les Sardines ont fait un Cartoun

Créée en 1610 par un Shakespeare qui voulait aller à l’essentiel, le Conte d’Hiver adapté par le Cartoun Sardines Théâtre a rempli la Maison du Peuple deux soirs d’affilée.

« Condamner sans preuve, ce n’est pas de la justice, c’est de la tyrannie ! » A quatre siècles de distance, les mots de Shakespeare n’ont rien perdu de leur vigueur, ni, il faut bien le dire, de leur actualité. Ce soir-là, en tout cas, dans une Maison du Peuple métamorphosée par une scène qui occupe la moitié de la salle, c’est le Conte d’hiver que l’on joue, dans une adaptation du Cartoun Sardines Théâtre. Cette compagnie marseillaise née en 1985 de la volonté de Philippe Car et Patrick Ponce (présents sur scène à Gardanne) s’est nourrie des Comics des années 30, de Tex Avery (d’où le nom de Cartoon, transformé récemment en un Cartoun plus couleur locale) mais aussi de mime, de cirque et de cabaret. D’où une inventivité à toute épreuve, et une capacité à embarquer le public dans un univers ou rigoureusement tout est possible, puisque c’est du théâtre.

Tout commence donc par une colère noire, celle du roi de Bohême Léontès quand il soupçonne sa femme, enceinte jusqu’aux yeux et néanmoins tout à fait gironde, de se livrer à des ébats amoureux avec le roi de Sicile. Malgré l’absence évidente de preuve, il fait emprisonner la première (qui, dans l’intervalle, a donné le jour à une petite fille) et complote pour empoisonner le second qui prend la fuite. Cette première partie, tragique et sombre, est accompagnée en musique par des airs gitans ou des polyphonies slaves. Car chez les Cartouns, mieux vaut savoir tout faire : Dominique Sicilia et Vincent Trouble jouent de l’accordéon, Susanna Martini du violon, Philippe Car du tuba, Patrick Ponce du saxo et Stéphane Gambin de la clarinette.

De même, il n’y a pas de coulisses : les comédiens se changent sur scène, où les costumes suspendus tiennent lieu de paravent. Et quand l’histoire franchit d’un coup seize années, c’est le Temps lui-même qui se charge de la transition : un Temps qui émerge d’un sac de couchage et qui sort des tirades que ne renierait pas Raymond Devos (« il faut que j’y aille car le temps presse »...). Nous voilà donc en Sicile baignée de soleil et garnie de fleurs éclatantes, où un brave bougre aux allures de Begnini fait son numéro, transformant le drame élisabethain en commedia dell’arte, avec une gestuelle héritée du cinéma muet. Au dernier acte, retour en Bohême, la scène s’est rapprochée du public et ressemble à un théâtre de marionnettes. Le Temps, qui fait aussi office de bruiteur, tire les ficelles. Et alors qu’on ne sait plus s’il faut rire ou pleurer, arrive une scène d’une stupéfiante beauté : une statue de pierre renaît lentement à la vie sous les coups de pinceau d’une maquilleuse. Superbe métaphore sur le théâtre, ses artifices et sa capacité à sans cesse se renouveler.