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Quand les singes ne seront plus que sur les écrans

Alors que Kong : Skull Island et La planète des singes - Suprématie rivalisent de bande-annonces, la chercheuse Shelly Masi annonce le risque de disparition à court terme des grands primates.

Il y a parfois des télescopages étonnants. Je tombe d’abord sur un article de l’excellent site The conversation titré : « Sauver les grands singes, c’est préserver la vie des humains ». Puis, une heure plus tard, en cherchant des bande-annonces de films, je vois celle de Kong : Skull Island qui sortira dans les salles le 8 mars.

D’un côté, un article de 5700 signes de la primatologue Shelly Masi [1]alertant des conséquences de la disparition de 75% des primates. De l’autre, 81 secondes sensées nous donner envie d’aller voir un énième avatar surdimentionné de la créature imaginée par Merian Cooper en 1933. Quel rapport entre les deux ?

Déforestation, virus, contrebande

L’article de Shelly Masi est un cri d’alarme. Si rien n’est fait, à court terme, en 2030 la forêt tropicale aura quasiment disparu (il n’en restera que 10% de sa superficie actuelle, qui est amputée de 15 000 hectares par jour). Et les gorilles et les orang-outangs n’auront plus aucun habitat naturel. Si ce n’est pas la déforestation, ce sont les virus, comme Ebola qui a fauché 90% des gorilles du Congo. Et si ce ne sont pas les virus, ce sont les braconniers ou les trafiquants d’armes et de coltan (un minerai qui entre dans la fabrication des smartphones). Et voilà comment une espèce qualifiée de parapluie, pour son rôle essentiel dans l’écosystème forestier, est décimée par l’autre catégorie des hominidés qui paraît-il, partage avec elle 98,8% de son ADN. Il faut croire que le 1,2% restant ne doit pas beaucoup manquer aux singes.

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Mais rassurons-nous : il y aura toujours des singes sur Terre, et notamment dans les salles obscures. L’équipe de Jordan Vogts-Roberts a décidé visiblement de jouer à qui aura la plus grosse. Le dernier King Kong à l’écran, celui de Peter Jackson en 2005, mesurait sept mètres. Petit joueur. Celui de 2017 en fera trente. Soit la hauteur d’un immeuble de dix étages... Le réalisateur explique que « sa taille a été impactée par le fait qu’il doit affronter Godzilla dans un futur film ». Bon.


 

Une course sans fin au gigantisme

Plus simplement, la démesure à l’œuvre n’est-elle pas l’indice d’un manque dramatique d’imagination du côté d’Hollywood ? A force de refaire jusqu’à la nausée les mêmes histoires, il faut bien attirer le chaland avec quelque chose de nouveau. Et dans la logique de parc d’attractions qu’est devenu le cinéma à grand spectacle (voir Jurassic World), pour inciter le public à revenir, il faut quelque chose de plus grand, de plus gros, de plus fort. Alors, pourquoi pas un King Kong de 30 mètres, après tout ? Celui de 1933, qui va finir par ressembler à un ouistiti en comparaison, finissait perché sur l’Empire State Building, qui culminait à 381 mètres. En 2017, la Burj Khalifa de Dubaï en fait plus du double, avec ses 828 mètres. Logique que le gorille le plus célèbre de l’histoire du cinéma suive la tendance.

Le 2 août sortira en salles le troisième volet de la nouvelle saga de la Planète des Singes, intitulée Suprématie. Cette fois, c’est le combat final entre les hommes et les primates, et une seule espèce survivra. Comme cette série s’inscrit en amont du film de 1968, on peut se douter de l’issue, même si elle est politiquement incorrecte. Au moins, dans la fiction, les singes auront eu leur revanche. Ça leur fera une belle jambe.


 

[1Maître de conférences au Musée de l’Homme. Lire l’article Shelly et les gorilles : beaucoup de passion, quelques frayeurs.