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Potiche

Voyage express dans les années soixante-dix des notables de province, des luttes syndicales et de la libération des femmes, Potiche avait tout pour plaire. Dommage que son scénario de théâtre de boulevard plombe le tout. François Ozon nous avait habitué à mieux.

Ex-femme des seventies...

En 1977, François Ozon a dix ans et se trouve dans une école primaire catholique. Catherine Deneuve en a 34 et sa carrière est un peu dans le creux avec pour seule actualité un obscur film italien, La cabine des amoureux, de Sergio Citti, où elle croise tout de même Ugo Tognazzi et la petite mais prometteuse Jodie Foster, 14 ans. Depardieu, lui, a 29 ans et s’impose dans le paysage avec cinq films à l’affiche : Rêve de Singe, de Marco Ferreri, Dites-lui que je l’aime de Claude Miller, Le camion de Marguerite Duras, La femme gauchère de Peter Handke et La nuit tous les chats sont gris de Gérard Zingg. Il faudra attendre encore trois ans et le Dernier métro de François Truffaut pour que les trajectoires des deux géants du cinéma français se croisent enfin.

 


 

En 1977 donc, Deneuve et Depardieu n’ont encore jamais joué ensemble. Avec Potiche, François Ozon les réunit 33 ans plus tard alors que l’une a atteint, ironie de l’histoire, l’âge de la retraite tel qu’il vient d’être voté (67 ans) et que l’autre s’en approche (62).

Ce décalage temporel est l’un des effets troublants de Potiche, comme le rôle de composition confié à Depardieu, député-maire communiste défendant les salariés en grève — alors que le même a récemment fustigé les manifestants et vanté les mérites de Nicolas Sarkozy — et fleur bleue invétérée contrastant avec les propos bas de plafond tenus à l’égard de Juliette Binoche. Qui dit déjà que la vieillesse était un naufrage ?

De Sarkozy, il en est d’ailleurs pas mal question à travers le rôle d’affreux tenu avec jubilation par Fabrice Luchini en petit patron incompétent, tyrannique et mysogine. Même pas besoin d’un « casse-toi pauvre con » ou d’un « s’ils veulent gagner plus, ils devront travailler plus » glissés dans les dialogues pour faire le parallèle entre les deux tant il est évident.

Quant à Deneuve, en grande bourgeoise oisive et frustrée propulsée malgré elle dans la vie active et les responsabilités, elle prend au fur et à mesure que le film avance des accents royalistes, tendance Ségolène.

 


 

Le tout dans un décor seventies parfaitement reconstitué à base de combinés téléphoniques recouverts de velours, de Renault 16 et de Mini Cooper, de tapisserie aux motifs psychédéliques, de laque dont la secrétaire de Luchini/Pujol s’asperge généreusement et de syndicalistes barbus et chevelus semblant avoir passé la nuit dans une poubelle. C’était ça, la France giscardienne d’avant le Minitel et le TGV, mélange bizarre de kitsch absolu, d’utopie sociale finissante et patriarcat vacillant.

Malgré tout, Potiche ne dépasse pas le cadre décevant de la comédie légère pas désagréable mais vite oubliée. Inspiré de la pièce de théâtre de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy, le scénario évoque plus Feydeau que les grandes comédies italiennes des années soixante-dix, justement. Comme si en se fondant dans le cadre étroit d’un genre suranné (la comédie de boulevard), François Ozon avait perdu la force et l’originalité qui font de lui un des réalisateurs français les plus intéressants de ces dix dernières années.