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Leïla Shahid, une Palestinienne pour la paix

Un débat sur la question israélo-palestienne a réuni le 8 mars à la Médiathèque l’écrivain Michel Warschawski, le journaliste Dominique Vidal et la représentante de la Palestine en France Leïla Shahid. 150 personnes ont assisté à cet échange marqué par le respect de l’autre et la nécessité de comprendre.

Hasard du calendrier ? C’est en tout cas le mardi 8 mars que Gardanne a accueilli Leïla Shahid, une visiteuse étrangère de l’importance de la Sud-Africaine Dulcie September, de passage en février 1986. Déléguée de l’Autorité palestinienne en France, Leïla Shahid a sillonné la Provence à l’initiative des Amis du Monde diplomatique. Accompagnée de l’écrivain israélien Michel Warschawski (militant pour la paix) et du journaliste Dominique Vidal (Le Monde diplomatique, elle est allée à la rencontre des habitants, et notamment des jeunes, à Aix, à Aubagne, à La Ciotat ou à Marseille. Cette démarche militante et pédagogique (faire entendre un autre discours que celui que les médias véhiculent) a été suivie par deux grands noms de l’audiovisuel : le documentariste Jean-Louis Comolli (qui prépare un film pour Francetélévision) et le reporter Daniel Mermet pour l’émission de France Inter Là-bas si j’y suis.

La salle de documentation de la Médiathèque était bien trop petite pour accueillir les 150 personnes assises, debout contre les baies vitrées. Parmi elles, une centaines de jeunes venus du LEP de l’Etoile et du lycée de Valabre. Mustapha El Miri, adjoint chargé de la culture, tenait à les saluer : « votre présence ici, en ce jour de grève, prouve que vous ne vous promenez pas. Nous soutenons votre mouvement. »
« Gardanne est un exemple d’intégration, soulignait Roger Meï en accueillant les conférenciers. Le métissage est une composante naturelle de l’humanité. Les Palestiniens et les Israéliens doivent pouvoir vivre en paix, dans des frontières bien définies, sans mur. Qu’on mette donc autant d’ardeur à faire respecter les résolutions de l’ONU dans les territoires occupés qu’on le fait avec la Syrie ! »

Un autre regard sur un conflit très médiatique
Que sait la population française du conflit israélo-palestinien ? Que voit-elle, à part les images d’attentats, de soldats armés aux points de passage des territoires occupés ?
« La question palestinienne trouve un écho dans la population française, explique Leïla Shahid. Mais ce travail de construction de la paix, on ne le voit pas assez. On montre les morts, les bombes, les tragédies. Pourtant, les deux peuples travaillent ensemble, ils ont des valeurs de respect de l’autre, le droit à travailler, à circuler, à étudier. En ce moment, il y a 730 barrages, les deux tiers de la population palestienne vit sous le seuil de pauvreté. Vous savez, les mouvements de libération aboutissent toujours. Personne ne peut accepter l’occupation et la négation de son existence. La justice ne peut pas se faire en imposant une injustice. Le compromis historique, c’est un terme qui n’est pas très beau. Je préfère le rêve de vivre ensemble. C’est un travail universel qui se fait là-bas et qui vous concerne ici. »
L’écrivain pacifiste israélien Michel Warschawski, président du centre d’information alternative de Jérusalem, s’adressait directement au lycéens : « Ce contact avec vous est très important pour moi. J’ai abandonné une carrière de prof que je retrouverai quand il y aura la paix. Quand Israël aura une ambassadrice qui aura la même empathie pour les Palestiniens que Leïla Shahid a pour le peuple israélien, alors la paix ne sera qu’une question de mois. »

Chacun doit choisir sa place
Plus qu’un exposé théorique et savant, Leïla et Michel ont tenu à parler de leur propre histoire, en la raccrochant à celle de leur peuple : « Je vais vous parler de mes deux grands pères, confie Michel Warschawski. Ils ont vécu tous deux sous l’Occupation en France et ils ont survécu. Mon grand-père paternel, d’origine polonaise, disait : »On ne peut faire confiance à personne, on est toujours seul face à l’adversité« . Mon grand-père maternel travaillait à la SNCF. Il disait :  »Si on est vivant, c’est grâce à ces milliers de gens qui nous ont aidés. Comme on nous a aidés, nous devons aider les autres.« En Israël aujourd’hui, ces deux tendances existent. La majorité, en ce moment, pense comme mon grand-père paternel le droit des autres, on s’en moque. Mais il y a des débats, des passages de l’un à l’autre. »
Et pour illustrer son propos, l’écrivain israélien raconte Tali. « C’est une source d’espoir extraordinaire. C’est une jeune juive d’origine marocaine, dans une ville de droite. Elle était militante de doite, et a voulu aller à Jenine, ville qualifiée de terroriste, pour comprendre. Elle a vu des habitants, s’est liée d’amitié. Ça lui a coûté très cher. Elle a été arrêtée six mois, sans preuve, et risqué la peine de mort pour trahison. Pourquoi ? Parce qu’elle a refusé d’être à sa place, elle a traversé le mur. Or, le rôle des murs, c’est de laisser chacun à sa place. Il faut choisir sa place. Ce défi vous concerne aussi, ici. »
Leïla Shahid, quant à elle, évoquait sa propre mère, élevée à Jérusalem par la même nourrice qu’un enfant juif. « Les mères ont un mérite extraordinaire, ce sont elles qui ont fait le lien entre les générations ».

Un hommage aux femmes et aux mères
Pour le journaliste du Monde diplomatique Dominique Vidal, « ce débat, c’est la possibilité pour vous d’entendre ensemble une palestinienne et un israélien. La France est un pays en voie de ghettoïsation. Depuis 2000, les actes antisémites se multiplient en France, mais les actes de violence antiarabe aussi, et on n’en parle pas. Un tiers seulement des actes antisémites viennent de jeunes arabes. L’histoire coloniale et le terrorisme jouent sur l’image négative que les Français ont sur les Arabes. Le racisme est un poison qui sert à diviser les gens. » Et lui aussi a tenu à saluer sa mère : « Elle avait 15 ans pendant la dernière guerre. Elle a été cachée par une famille catholique en Auvergne, puis elle est devenue »porteur de valises« pendant la guerre d’Algérie. »
Les femmes, d’ailleurs, c’est sur elles que reposent tous les espoirs : « Les femmes arabes sont l’avenir de leur société. Elles sont combatives, surtout en Algérie. En Palestine, avant, les femmes ne s’occupaient pas de politique. Elles commencent à réaliser qu’elles peuvent faire des lois. Aux dernières élections, elles se sont mobilisées très fortement, elles attrapaient les hommes par le col pour les forcer à aller voter. »
Une place des femmes étroitement liée à la question de l’éducation : « c’est grâce à elle que la Palestine se construit. C’est une arme de résistance, qui donne aux Palestiniens le droit de faire partie du monde. Grâce à l’ONU, c’est une éducation mixte. »

« Prenez la peine de comprendre »
Face aux questions de la salle, sur l’antisémitisme, sur les possibilités d’agir, les moyens de s’informer, Leïla Shahid remarquait : « La confusion des mots vient d’une absence de connaissance. C’est plus que de l’ignorance, c’est ce que j’appelle de l’ignardise. Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, c’est dramatique. Ce n’est pas la tectonique des plaques ! Entre les civilisations, il y a plus d’échanges que de clash. Dans le monde arabe, il n’y a pas eu de génocide, contrairement à l’Europe. Intéressez-vous à l’histoire de vos communautés d’origine. »
D’ailleurs, soulignait Michel Warschawski, « vos médias ne sont pas si mauvais que ça. En Israël, les correspondants font bien leur boulot. Vous devez faire l’effort de chercher l’information. » Ce que confirmait Leïla Shahid : « Prenez la peine de comprendre, de vous informer, de ne pas être de simples consommateurs d’images. Vous pouvez lire, en France l’édition est très riche. Il y a aussi des réseaux citoyens qui se mobilisent. »
Et quand dans la salle, un lycéen lui demande ce qui le motive : « Ma motivation ? Elle est surtout égoïste. Ce qui me préoccupe, c’est l’avenir de mes enfants et de mes petits-enfants, leur possibilité d’exister dans dix ans, dans vingt ans. Vivre derrière un mur et un arsenal nucléaire, ce n’est pas une vie c’est un cauchemar ! »

Un politiquement correct qui dérive vers l’islamophobie
Enfin, Dominique Vidal replaçait le débat sur l’islamisme qui traverse la société française. « Bien définir les mots, c’est absolument capital. Attention au politiquement correct qui fait dériver vers l’islamophobie. 39% des Français pensent que les musulmans sont trop nombreux, 57% qu’ils représentent un groupe social différent, 66% que l’islam est un mot à connotation négative. La république laïque doit être sociale. Le racisme est surtout antipauvres, comme au 19ème siècle. » Et concluait sur la commémoration récente de la libération d’Auschwitz : « Ça a été très mal fait à mon sens, on a misé sur le grand spectacle, sans chercher à expliquer. Le génocide, c’est l’affaire des jeunes maghrébins, comme les guerres coloniales, c’est l’affaire des jeunes juifs. Il faut tirer les leçons du génocide pour aujourd’hui et pour demain. »

Après deux heures et demie de discussion, la rencontre se terminait par un hommage émouvant de Hondo, jeune gardannais, à sa mère : « elle m’a appris la dignité et le respect de l’autre, jamais de haine ». C’est d’ailleurs lui qui remettait un bouquet de fleurs à Leïla Shahid. A midi trente, alors qu’elle était attendue à Aubagne, la déléguée de la Palestine n’avait toujours pas quitté la Médiathèque.