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Le complot contre l’Amérique

TOUT AU BORD DU GOUFFRE

Le héros du Complot contre l’Amérique, c’est le président des Etats-Unis Charles Lindbergh. Lindbergh, oui, celui qui a traversé l’Atlantique sans escale à bord du Spirit of Saint Louis en 1927. Celui dont le bébé a été enlevé et retrouvé mort en 1932, à l’occasion du rapt d’enfant le plus médiatique du siècle. Ce Charles Lindbergh. Héros de l’aviation, père foudroyé, antisémite et admirateur d’Hitler. La face cachée du rêve américain, Philip Roth l’explore en imaginant ce qui se serait passé si, à l’été 1940, Lindbergh avait répondu à l’appel des Républicains qui lui demandent de se présenter à la Maison-Blanche. Lindbergh a refusé. Or, s’il avait accepté, il aurait sans doute battu Roosevelt qui se préparait pour un troisième mandat. Et à la lecture de ses discours, notamment celui prononcé le 11 septembre 1941 lors du meeting d’America First (mouvement d’extrême droite) à Des Moines, on se dit qu’effectivement, les Etats-Unis sont sans doute passés tout près d’une majorité bienveillante au régime nazi.

Philip Roth conclut son roman par 34 pages d’annexes, dans un souci tout à fait louable de précision historique. Il dresse une « chronologie véritable » des principaux acteurs, Roosevelt, Lindbergh, mais aussi Burton K. Wheeler, un isolationniste forcené qui se présenta contre Roosevelt en 1940, et surtout une ordure antisémite de première grandeur, l’industriel Henry Ford. On y retrouve heureusement des gens courageux et intègres, comme le maire de New York Fiorello La Guardia ou le chroniqueur radio Walter Winchell, qui s’en prend à tout ce que l’Amérique compte de réactionnaires.

Mais le cœur du Complot contre l’Amérique, c’est la petite histoire, celle de Philip, sept ans, de sa famille, de ses voisins et de sa bande de copains. C’est à travers lui que l’on voit se déliter les réseaux d’entraide, les communautés de voisinage, où l’éternel rêve américain tourne au cauchemar. Les enfants juifs sont envoyés dans le Midwest pour y travailler à la ferme, et dans les villes, des émeutes éclatent, des magasins juifs sont mis à sac, il y a des morts. Philip voit son cousin Alvin revenir de la guerre, estropié et convaincu que la vie est un combat. Il voit son frère Sandy devenir un modèle d’enfant juif intégré à la nouvelle société américaine, et invité à la Maison Blanche par le rabbin Bengelsdorf, lequel collabore avec l’administration Lindbergh. Il voit surtout sa mère, héroïque de courage et de dignité, baisser soudain les bras face au sort contraire et à la menace du lendemain.

Comme toujours dans les romans de Philip Roth, il y a beaucoup d’humour, fût-il glacé : en lisant la description de la campagne électorale de Charles Lindbergh, qui parcourt tous les Etats de l’Union à bord du Spirit of Saint Louis, on ne peut pas oublier la parade militaire de George Bush, atterrissant sur un porte-avions en tenue de pilote de chasse au soleil couchant pour annoncer que la guerre d’Irak était gagnée. C’était il y a trois ans. Les Américains ont toujours eu un problème avec les avions.