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Le Bibliothécaire

Plongée abrupte et décalée dans le milieu politique républicain à la veille d’une élection présidentielle américaine, Le Bibliothécaire est un modèle de roman dont les racines s’enchevêtrent dans le réel, sans pour autant renoncer au burlesque. Une réussite.

Un doigt d’honneur à la main invisible

Le ridicule George W. Bush et ses funestes huit années de pouvoir (dont les Etatsuniens n’ont pas fini de payer l’addition) ont déjà inspiré bon nombres de romanciers, et nul doute que la veine est loin d’être tarie. En 2004, Larry Beinhart publiait Le Bibliothécaire (The Librarian) alors même que George W. Bush faisait campagne pour sa réélection.

Et c’est bien de ça dont parle Le Bibliothécaire. Même si Bush est rebaptisé Gus Scott, tous les éléments biographiques sont les siens, y compris son engagement dans la Garde nationale pour éviter le Vietnam et les circonstances pour le moins farfelues de son élection en novembre 2000. Le Patriot Act y est aussi, avec ses dispositions liberticides.

Son adversaire pour la Maison Blanche n’est pas John Kerry mais une infirmière valeureuse et intrépide, Anne Lynn Murphy. Bien entendu, elle n’a aucune chance, tout le monde le sait, sauf elle. Et donc elle tente crânement sa chance, notamment lors du débat télévisé décisif, premier moment de bravoure du roman. Il y en aura d’autres.

Quand David Goldberg, bibliothécaire sans histoire chargé de gérer la pénurie de moyens, se retrouve engagé par le milliardaire Alan Stowe pour gérer sa bibliothèque privée, il est très loin de se douter que sous peu, il aura des agents de la Sûreté du territoire à ses trousses. Et là, pas question d’appeler la police, puisque la police, c’est eux, et que grâce au Patriot Act, ils ont carte blanche pour faire à peu près n’importe quoi. Ils ne vont pas s’en priver.

Goldberg n’aura dès lors pas le choix. Sa seule chance de survie est de trouver, en quelques jours, ce que cachent les archives du vieux Stowe, et pourquoi ce qu’elles cachent peuvent compromettre la réélection de Scott. Car ce dernier, plombé par un débat télévisé calamiteux, voit les sondages se retourner brusquement juste avant l’élection. Or, il est bien décidé, et les industriels qui le soutiennent également, à tout faire pour ne pas lâcher la Maison-Blanche, quitte à plonger le pays dans le chaos...

Le grand talent de Larry Beinhart est de réussir à ne pas faire de son histoire un thriller complotiste des plus sérieux. Au contraire : son personnage principal, qu’on aura du mal à qualifier de héros, est plongé dans des situations tellement inhabituelles pour lui que le burlesque et l’absurde ne sont jamais loin.

De même, les stratégies des conseillers du président, la superficialité des médias ou les délires économico-religieux des riches donateurs républicains (qui prennent la main invisible du marché d’Adam Smith pour celle de Dieu lui-même) sont l’occasion de pages très drôles qu’on ne s’attend pas à trouver dans un thriller. Et c’est tant mieux.

Deux autres romans de Larry Beinhart ont été édité en France : Reality Show et l’Evangile du billet vert, tous deux chez Gallimard.