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Lady Chatterley

Comment adapter la deuxième version du célèbre roman de D.H. Lawrence sans tomber dans le piège du film à costumes ou de l’érotisme littéraire ? Pascale Ferran a trouvé la clé en faisant de son lady Chatterley une fête sensuelle et une ode à la féminité, portée par deux interprètes inconnus et remarquables.

QUI VA AU GARDE-CHASSE TROUVE SA PLACE

Il y a mille façons de filmer des scènes de sexe, dont sans doute plus de neuf cents de mauvaises. Trop près, trop loin, trop réaliste, trop simulé, trop romantique, pas assez... En s’attaquant au Lady Chatterley de DH Lawrence, Pascale Ferran ne choisissait pas la facilité. En choisissant deux acteurs inconnus venus plutôt du théâtre [1], elle prenait le parti de l’effet de surprise. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le risque paie. Pascale Ferran filme la nature comme les corps, au plus près, à l’affût du moindre frémissement, de la plus infime vibration, en observatrice attentive de ce désir qui monte entre Constance Chatterley et Parkin, le garde-chasse du domaine.

Le château où règne Clifford, officier britannique revenu paralysé de la première guerre mondiale et patron impitoyable du pays minier, est ainsi opposé dans sa raideur et sa froideur à la cabane du garde-chasse, au cœur d’une forêt pleine de vie. Quand elle se déplace de l’un à l’autre, Constance semble ainsi se dépouiller de ce statut social qui l’étouffe, jusqu’à une incroyable scène où les deux amants se poursuivent nus sous une pluie battante. L’impuissance de Clifford est aussi remarquablement rendue dans une scène champêtre où Mr Chatterley ne parvient pas à monter une pente avec son fauteuil roulant motorisé. Il peste, rage, fulmine et finit par accepter l’aide du garde-chasse.

Le scénario n’élude d’ailleurs pas ces rapports de classe particulièrement marqués dans la Grande-Bretagne des années vingt, rongée par la peur du socialisme [2] Mais il aborde aussi avec bonheur les rapports homme-femme, avec une Lady Chatterley très en avance sur son temps et qui n’hésite pas à mettre sa fortune au service de Parkin pour que celui-ci s’émancipe. C’est d’ailleurs elle qui va le « civiliser », non pas en lui apprenant les bonnes manières de l’aristocratie, mais en l’ouvrant lentement à des relations amoureuses moins bestiales et beaucoup plus riches.

« C’est une histoire tellement simple entre deux solitudes qui se font du bien », explique modestement Pascale Ferran. « La différence sociale entre eux fait que leur relation est impensable. Par moments, il suffirait d’un rien pour que tout s’arrête. Dans leur relation, si on enlève l’avenir, qu’est-ce qui reste ? Le présent. C’est ce que j’ai voulu faire, capter l’instant. » Elle y est remarquablement parvenue.

[1Marina Hands, fille de l’actrice Ludmila Mikaël, est pensionnaire de la Comédie française. Jean-Louis Coulloc’h a fait carrière au théâtre et a très peu joué au cinéma.

[2que l’on retrouve dans le film de Ken Loach, Le jour se lève qui se passe d’ailleurs la même année, en 1921.