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Histoire secrète du patronat

Soixante-dix ans de forfaiture, de petites magouilles et de grandes arnaques, des dizaines de milliards de francs puis d’euros amassés qui ont fait quelques grandes fortunes aux dépens du contribuable. C’est la révoltante histoire du patronat français.

Le retour des barons voleurs

Si vous avez vu La Porte du paradis, le splendide film de Michael Cimino, le terme barons voleurs vous dit sûrement quelque chose. Howard Zinn leur a d’ailleurs consacré un chapitre de son Histoire populaire des Etats-Unis (Lire un extrait sur le site du Monde diplomatique). Ces barons voleurs-là, on en a aussi en France, et même s’ils n’ont pas la surface financière de JP Morgan, David Rockefeller ou Henry Ford, à leur manière, ils ont causé aussi beaucoup de dégâts.

Et encore, Histoire secrète du patronat ne prend en compte que les sept dernières décennies, celles qui mènent de Vichy à Sarkozy, ou si l’on préfère, de l’élaboration du programme du CNR (conseil national de la résistance, lire Les jours heureux) à sa démolition méthodique par le pouvoir actuel. Mais rien que sur cette période, il y a largement de quoi faire.

Sans entrer dans les détails d’un livre passionnant coordonné par Benoît Collombat (France Info) et auquel ont contribué David Servenay (Rue 89), Martine Orange (Mediapart), Frédéric Charpier et Erwan Seznec, on mesurera avec dégoût combien, au final, le patronat français aura coûté cher au pays, en pressurisant les citoyens comme salariés, comme contribuables et comme consommateurs.

Des centaines de milliards de francs, puis d’euros, se sont ainsi évaporés (pas pour tout le monde) en passant du public au privé. Car, ce qui ressort principalement de cette Histoire secrète, c’est qu’en système capitaliste, le patronat est toujours gagnant. Gagnant sous Vichy, gagnant à la Libération pendant la reconstruction, gagnant pendant le plan Marshall, gagnant pendant les Trente Glorieuses, gagnant encore au moment des nationalisations (où l’Etat a acheté très cher des entreprises au bord de la faillite), gagnant toujours à l’époque des privatisations (où l’Etat a cédé des entreprises solides sous leur valeur réelle).

Et depuis une vigtaine d’années, le patronat n’est même plus gagnant, il est carrément au pouvoir : c’est lui qui dicte aux gouvernements en place la politique économique du pays, à une petite exception près, celle du passage aux 35 heures en 1998. Comme par hasard, c’est à ce moment-là que la situation de l’emploi s’est améliorée. Bien entendu, ça n’a pas duré longtemps.

Benoît Collombat

Le livre est structuré en cinq parties chronologiques : de la collaboration à l’anticommunisme (1945-1968), l’émancipation sauvage du capitalisme français (1969-1981), le socialisme patronal (1981-1987), la mondialisation en marche (1988-1997) et l’ère des tueurs (1998-2009). Les affaires célèbres sont évidemment décortiquées, comme la caisse noire de l’IUMM, le Crédit lyonnais, l’affaire Urba, le torpillage de Lip, la scission de la CGT par la CIA...

Il est aussi riche de portraits de dépouilleurs en costume-cravate, comme Marcel Dassault, Francis Bouygues, Bernard Tapie, Gérard Mulliez, Claude Bébéar, Jean-Luc Lagardère, Vincent Bolloré, Bernard Arnault et autres. Dans un monde parfait, on rêverait que les survivants soient jugés pour crimes économiques, leurs biens saisis, leurs réseaux démantelés. Mais on n’est pas dans un monde parfait, et dans le nôtre, l’Etat trouve moyen de verser des centaines de millions d’euros à Bernard Tapie, tout en supprimant des dizaines de milliers de postes d’enseignants.