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Gérard Filoche : « accepter la précarité, c’est le retour à la barbarie »

Venu défendre l’avancée sociale que représente le code du travail, Gérard Filoche s’en est pris à la statégie de casse prônée par le Medef a a vigoureusement défendu les 35 heures.

C’est un nom qui ne vous dit peut-être rien. Gérard Filoche est inspecteur du travail et auteur de nombreux livres sur la question sociale. Invité par Attac Gardanne Bassin minier, il s’est exprimé le 2 juin dernier devant une centaine de personnes à la Maison du peuple, un édifice construit au moment du Front populaire. C’est dire si le lieu était bien choisi.

« Le code du travail, c’est une construction juridique issue de 140 ans de luttes sociales. C’est un texte fondamental qui régit le quotidien de 16 millions de salariés. Il est né au milieu du 19ème siècle de la vieille revendication de la baisse du temps de travail. Tout le long du siècle dernier, il a connu des avancées chaotiques, mais il a toujours été un point d’appui pour les salariés. C’est un code fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes. Un texte vivant qui incarne les rapports sociaux. »

Car c’est de ça dont il est question ce soir : le code du travail, dont une nouvelle mouture est entrée en application, ironie de l’histoire, le 1er mai 2008. Le résultat d’une longue lutte menée depuis dix ans par le Medef, suite à la mise en place des 35 heures. « Quand Jean Gandois démissionne de la tête du CNPF, il affirme qu’il faut des tueurs. Ces tueurs, ce sont Denis Kessler et Ernest-Antoine Séllière. Leur objectif ? Démolir le code du travail, et remplacer la loi par le contrat, un contrat de gré à gré de type commercial entre l’employeur et le salarié. Ils veulent tirer un trait sur la durée légale, les prud’hommes, les cotisations sociales et les droits syndicaux ».

Laurence Parisot, présidente du Medef, n’a-t-elle pas eu cette phrase désormais célèbre : « l’amour, la vie, la santé sont précaires. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ? » Une interrogation à ce point ahurissante que Gérard Filoche en a fait le titre d’un livre. « Depuis l’aube de l’humanité, l’espèce humaine lutte contre la précarité : on est passé de la cueillette à l’agriculture, puis de la chasse à l’élevage, en allant toujours vers plus de sécurité, plus de confort. Quand Parisot dit qu’il faut accepter la précarité comme une composante normale de la vie, ce n’est rien d’autre qu’un retour à la barbarie, un contresens historique total ! »

De la loi Fillon du 4 mai 2004, qui sape l’édifice législatif en donnant la priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, aux lois sur les syndicats dits représentatifs, qui, comme avant la Révolution, instaure un décompte par ordre et pas par tête [1], tout est fait pour démanteler pièce par pièce le code du travail.

« Ce texte vivant, qui protégeait les salariés, est passé à l’acide des exigences du Medef ». On remplace ainsi les lois qui régissent le code en décrets (sans aucun débat parlementaire). On enlève la durée du travail du chapitre conditions de travail et on la met dans celui concernant les salaires. Les apprentis ne sont plus considérés comme des salariés et se retrouvent dans la partie formation professionnelle, les dockers dépendent désormais du code des affaires maritimes et les mineurs du code minier...

A propos des 35 heures, attaquées comme jamais ces temps-ci et accusées de tous les maux, Gérard Filoche rappelle : « Il y a un lien évident et historique entre la réduction du temps de travail et le code du travail, de la journée de huit heures aux 35 heures. Et les 35 heures, c’est la durée légale du travail. Ce n’est pas la durée réelle, ni la durée maximale. » Cette dernière est fixée à 48 heures, tout ce qui est entre devant être payé en heures supplémentaires majorées.

Or, là aussi, le nouveau code déplace les responsabilités : au lieu de l’employeur, c’est le salarié qui a des obligations, comme par exemple dans le port des tenues de sécurité. En cas d’accident sur un chantier, la responsabilité de l’employeur ne sera plus engagée. Une disposition, on s’en doute, qui a beaucoup plu au Medef, le véritable inspirateur de la réforme.

[1Ainsi, les médias parlent d’un accord signé par « 4 syndicats sur 5 », alors même que 3 autres — UNSA, Sud et la FSU — ne sont pas pris en compte, et que le plus souvent, la CGT n’a pas signé. Ce qui veut dire qu’un accord signé dans ces conditions peut l’être au nom d’une petite minorité de salariés, mais ce n’est jamais expliqué clairement.