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Dol

Un essai graphique sur le deuxième mandat de Chirac : c’est le pari un peu fou mais parfaitement maîtrisé qu’a tenu Philippe Squarzoni dans un pavé de trois cents pages aussi documenté qu’un dossier du Monde diplomatique qui serait illustré par un émule de Manara. Etonnant et passionnant.

LES DESSOUS DE L’ARNAQUE DU SIÈCLE

Quel rapport entre Charlie Chaplin et la réforme des retraites menée par François Fillon et Jean-Pierre Raffarin ? Entre Nicolas Sarkozy et le maître Yoda de l’Empire contre-attaque ? Entre les publicités pour Aubade et les promesses électorales ? La réponse est dans Dol. Qu’est-ce que c’est Dol ? On pourrait le définir comme un essai graphique, sur le principe des romans graphiques dont From Hell est un exemple. C’est un texte très dense, très écrit, qui serait parfaitement cohérent sans les dessins.

Rien que pour ça, Dol mérite le détour. La clarté des analyses sur les réformes en cours, la casse des services publics, de la protection sociale, le discours sécuritaire, le souci d’articuler et de mettre en perspective les différents éléments rend passionnant le propos.

D’ailleurs, l’auteur Philippe Squarzoni s’est longuement et soigneusement documenté et on le voit au travail : il discute avec des journalistes du Diplo (Serge Halimi, Martine Bulard), de France Info (Mathieu Aron, Franck Cognard) ou du Nouvel Obs (Carole Barjon), des membres d’Attac (Gus Massiah, Michel Husson), l’avocat Arnaud Pélissier, il se pose des questions et cherche des réponses. Délibérément, il choisit d’illlustrer ses interviews comme on le ferait pour un documentaire en vidéo, face caméra [1].

On y découvre d’ailleurs d’étonnants mea culpa concédés par les journalistes du service police-justice de France Info : « Les hommes politiques se servaient du discours médiatique pour dire : »regardez, elle existe l’insécurité« et les médias disaient »si les hommes politiques en parlent c’est bien qu’il y a un véritable sujet de société là-dedans«  (Franc Cognard).  »Quelque part, on a manqué d’esprit critique. Et je pense que c’est vrai pour beaucoup de choses" (Mathieu Aron).

Ceci dit, Dol n’est évidemment pas qu’une succession de portraits. L’originalité du livre, c’est le traitement graphique de cette grosse somme d’informations, qui rappelle le trait de Milo Manara à l’époque de Giuseppe Bergman, au début des années 80. Bien sûr, on y voit Raffarin, Fillon, Chirac, Jospin ou Sarkozy, mais aussi des symboles de l’imagerie populaire comme Charlot, les personnages de Star Wars, le Muppets Show, Harold Lloyd, Citizen Kane, le requin blanc des Dents de la mer, Shrek, les montres molles de Dali ou la pipe de Magritte. Le tout s’inscrit en parallèle du texte avec beaucoup de finesse et de subtilité, comme les unes de journaux ou les gros titres découpés en bandelettes. Henry Fonda dans les Raisins de la colère, Maître Yoda et Charlot sont d’ailleurs érigés en figures de la résistance face au rouleau compresseur du néolibéralisme.

Philippe Squarzoni réussit de la sorte des métaphores visuelles saisissantes : ainsi, page 274, il représente la force écrasante du libéralisme triomphant par un sumo cadré très serré au niveau du visage, qui se tourne sur le côté pour découvrir un gigantesque 4x4, avec ce commentaire : « c’est inquiétant sur le papier. Mais ça l’est plus encore aujourd’hui, à l’heure où Frankenstein pourrait bien être dévoré par le monstre qu’il a engendré ». Et, merci à lui, Squarzoni évoque la question de la décroissance, même s’il reconnaît (sur fond de dessin d’autruches) que ce ne sera pas très vendeur.

Au fait, que signifie Dol ? Le livre ne l’explique pas, mais c’est un terme juridique qui signifie : « manœuvre frauduleuse cherchant à porter préjudice aux intérêts de quelqu’un en l’incitant à accepter des conditions désavantageuses » [2]. En l’occurence, le dol est la victoire de Chirac aux élections présidentielles de 2002, une victoire par défaut pour faire barrage au FN et qui devient le triomphe de l’ultralibéralisme incarné par Raffarin, Fillon, Villepin et Sarkozy. Squarzoni a d’ailleurs complété son livre, édité pour la première fois en 2006, par une postface de 25 pages relatant l’arrivée à l’Elysée de l’ami de Lagardère et de Bolloré sur un programme de réhabilitation de la « valeur travail ». Un autre dol, encore pire que le précédent.

[1Philippe Squarzoni explique sa méthode de travail et ses parti-pris graphiques dans une interview audio réalisée en mars 2007 par Attac Rhône