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Décalages horaires

Le 17e festival cinématographique d’automne de Gardanne aura récompensé un documentaire américain sur les enfants de Calcutta (Camera Kids) et un film argentin sur l’inceste (Gémeaux), après avoir rendu hommage au cinéma africain, proposé une nuit italienne et une soirée indienne. L’éclectisme et la curiosité étaient une fois de plus au rendez-vous.

Des OFNI, objets filmiques non identifiés (selon les termes du réalisateur suisse Olivier Zuchuat), il y en a eu beaucoup au cours du festival. Et Djourou, une corde à ton cou en est assurément un. En tout cas, c’est un réquisitoire sans appel contre ce qu’il faut bien appeler par son nom, à savoir un crime économique organisé : la dette du Mali. Très stylisé dans sa partie tournée en France ou en Suisse (images floues, saccadées, impressionnistes), le film de Zuchuat se fait plus pédagogue au Mali, mais avec une nécessaire distance apportée par une voix off mi- Candide, mi-ironique. « Je suis né dans un pays qui accueille plus facilement l’argent des étrangers que les étrangers eux-mêmes, » raconte-t-il, avant d’aborder cette dette qui se nourrit d’elle- même, cette “dette au carré”.

Le Festival a aussi rendu hommage à Paul Vecchiali, 74 ans et éternel franc-tireur du cinéma français. Paul Vecchiali fait partie de ces cinéastes que tout le monde connaît mais dont bien peu ont vu les films. Rosa la rose, fille publique, Corps et à coeur, Encore, ou le tout dernier, A vot’bon coeur, ont été ainsi projetés au festival, ce dernier entraînant le public dans un débat-marathon qui s’est achevé à une heure du matin. « Mes films sont extrêmes, pas moi. Je veux que le spectateur sorte de lui-même, qu’il aime ou qu’il déteste, mais surtout qu’il ne reste pas indifférent. L’artiste est celui qui rend sensible aux autres ce qui n’est sensible qu’à lui-même. Le cinéma est une industrie avant d’être un commerce ou un art. Et dans l’industrie, il y a des chercheurs. J’en suis un. »

Nuit italienne et buffet indien

La soirée indienne du festival d’automne fait toujours recette, c’est le cas de le dire : une fois de plus, la salle 1 était pleine pour quatre heures de grand spectacle, avec au milieu une demiheure de buffet indien préparé et offert par l’épicerie aixoise Pondichéry. Installé à la droite de la scène, une grande table propose beignets au boeuf et aux légumes, gâteaux sucrés et thé au lait à l’assistance qui a quitté ses fauteuils et qui passe devant l’écran, sous les lumières bleues. Exactement comme dans le film, Swades, où une projection en plein air est interrompue par une panne d’électricité et se transforme en fête de quartier. Car contrairement à la caricature du film dit bolliwoodien, Swades délivre un message social plutôt audacieux, accusant le système de castes et la dévalorisation des femmes de maintenir l’Inde dans le sous-développement.
Le film d’Ashutosh Gowariker ne manque bien sûr pas de passages chantés et de morceaux de bravoure, notamment l’installation d’une turbine sur un ruisseau de montagne pour fournir une alimentation électrique autonome au village.

Le choix de la jeunesse

Le jury jeunes a encore une fois animé la soirée de clôture. On sent l’influence de l’atelier théâtre du service jeunesse (dont sont issus certains jurés)  : pour la proclamation des délibérations, les neufs jurés sont assis en cercle au pied de l’écran blanc, lumières éteintes. « Le cinéma fut pour nous une belle lumière dans le noir, » conclurent-ils après avoir choisi Gémeaux, le film argentin d’Albertina Carri.
« Il est vite arrivé en tête au moment du choix, explique Loris, même si ça a été serré. » Âgés de 17 à 24 ans, les membres du jury ne se connaissaient pas pour la plupart avant le festival. « Combien de films on a vu ? Je ne sais pas, trente ou trente-cinq, je dirais, » se souvient Matthieu. Pour Ludmile, « le festival, ça nous apporte beaucoup, c’est un enrichissement personnel. » Et maintenant ? « Il ne reste plus qu’à devenir jury jeunes au festival de Cannes  ! » plaisante Romain. Encore faudrait- il qu’un tel jury existe sur la Croisette...

Le prix du public est allé au documentaire de la photographe américaine Zana Briski, Camera Kids, qui raconte son expérience avec une bande d’enfants de Calcutta à qui elle a appris la prise de vues. Côté courts-métrages, le public a choisi L’entretien, de Samuel Jacquemin, et Le baiser, de Stefan Le Lay. Le jury a pour sa part accordé un prix à El sonador, d’Oskar Santos, et une mention spéciale à Lunolin, le petit naturaliste de Cecilia Marreiros Murum. Enfin, les enfants ont aimé Kié la petite peste d’Isao Takahata et Le secret de Moby Dick de Jannick Hastrup.