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Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France

Pourquoi le président de la République fait-il sans arrêt référence à Jaurès, à Blum, à Jean Moulin, à la Commune ou à la Révolution ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette captation d’héritage ? Une vingtaine d’historiens regroupés dans un comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire commentent et analysent.

FAUX PAPIERS D’IDENTITÉ NATIONALE

« La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. » (Discours de Nicolas Sarkozy le 9 mars 2007 à Caen). Face à une bêtise aussi crasse, une ignorance aussi vaste ou tout simplement un cynisme aussi ingénu, on pourrait hausser les épaules et passer à autre chose. Sauf que le candidat à la présidence de la République s’est depuis installé à l’Elysée, et accessoirement au Pavillon de la Lanterne qui jouxte le château de Versailles, symbole de la monarchie absolue.

Les historiens regroupés dans le CVUH (comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire) ont fait œuvre d’utilité publique en écrivant un petit livre particulièrement fouillé édité par les Marseillais d’Agone, à qui on doit entre autres de lire les œuvres de Noam Chomsky ou d’Howard Zinn. Chacun a repris un des thèmes ou des personnages de l’histoire de France invoqués par le candidat Sarkozy entre 2006 et 2007 : Jaurès, Blum, Hugo, Mandel, Charlemagne, Clémenceau, Jeanne d’Arc ou Napoléon III, mais aussi le plateau des Glières, le Pavillon de la Lanterne, Verdun ou encore les Lumières, la fille aînée de l’Eglise, l’Etat capétien ou la repentance.

Pris ensemble (et souvent associés dans les discours), ces concepts, ces noms et ces lieux forment un catalogue sans queue ni tête, un cocktail digne des manuels d’histoire du début du XXème siècle (nos ancêtres les gaulois) où tout est mis sur le même plan, sans la moindre perspective et sans le moindre recul critique. On peut s’amuser des approximations, des contresens historiques (l’Etat capétien n’a jamais existé, d’autant que Sarkozy couvre sous ce terme toute la monarchie française alors que la lignée capétienne s’est éteinte au 14ème siècle) ou des absurdités biographiques (Léon Blum chantre de la valeur travail alors qu’il a fait voter les quarante heures et les deux semaines de congés payés).

Mais derrière le pataquès écrit en grande partie par Henri Guaino (qui gagnerait à se documenter avant d’élaborer les discours), il y a la volonté de « reconstruire un roman national » valorisant le recours à un homme providentiel guidant par sa vision un peuple enfant dépourvu de volonté politique. Un peuple cimenté par une histoire commune, « une histoire primaire (pour les primaires) dans laquelle le mythe escamote le réel et lui sert de masque idéologique ». Et ce masque-là est profondément, viscéralement réactionnaire. Faut-il encore hausser les épaules et passer à autre chose ?