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Avec le gaz de glace, la mèche est allumée

Le point de bascule au-delà duquel le réchauffement climatique sera incontrôlable est annoncé pour 2020. Pendant ce temps, la Chine commence à extraire des hydrates de méthane pour remplacer le charbon et le pétrole. Tout va bien.

On le sait, on le répète : les Chinois ont tout compris au changement climatique et, contrairement à ce gros lourdaud de Trump, s’engagent résolument dans la transition énergétique. Et en plus, le Père Noël existe.

Vous n’avez sans doute jamais entendu parler des hydrates de méthane. Ni du gaz de glace, ni de glace inflammable. Ça ne saurait tarder, et ce n’est pas une bonne nouvelle. En mai dernier, la Chine a ainsi annoncé triomphalement avoir extrait des fonds sous-marins 235 000 mètres cubes de ce qui ressemble à de la neige sale. Et qui pourrait bien signer notre arrêt de mort à court terme.

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Les hydrates de méthane, pour faire simple, sont des cristaux composés d’une molécule de gaz capturée par des molécules d’eau à l’état solide. Dans un article très détaillé paru en 2005, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici expliquait comment et pourquoi se forment ces molécules [1].

En Sibérie, des trous géants se multiplient

Ils sont issus de la décomposition de la matière organique, comme le pétrole. Et ils sont très inflammables quand ils fondent en présence de l’oxygène. C’est pourquoi ont les appelle aussi gaz de glace, ou glace qui brûle. Et on les trouve principalement à deux endroits : dans les fonds océaniques de moyenne profondeur, et sous le pergélisol, le sol gelé en permanence des hautes latitudes terrestres. Des trous géants se forment d’ailleurs en Sibérie quand le méthane s’échappe [2].

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Les réserves estimées sont gigantesques : elles seraient supérieures à celles existantes du pétrole et du charbon cumulées. De quoi prolonger de quelques décennies notre civilisation avide d’énergies fossiles, même après l’épuisement des réserves pétrolières et charbonnières. Le Japon, les Etats-Unis, la Corée du Sud et donc la Chine sont très intéressés par cette manne potentielle. Autant dire que la COP 21 ne pèse rien à côté de ça. Mais on s’en doutait un peu.

Mais ce n’est pas tout. Comme un feu d’artifice qui démarre gentiment et qui s’achève dans un somptueux et assourdissant bouquet final, les hydrates de méthane pourraient mettre un gros coup d’accélérateur au changement climatique actuel. Le pouvoir réchauffant du méthane est en effet 23 fois supérieur à celui du gaz carbonique. Vous voyez le problème ? Aujourd’hui, le méthane est responsable de 17% du réchauffement climatique.

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Le point de bascule, c’est pour demain

Si les pays industrialisés se mettent à l’exploiter comme combustible, la température moyenne à la surface de la Terre va augmenter encore plus vite. Et les sols gelés vont continuer à fondre, et les océans à se réchauffer. Ce faisant, les hydrates de méthane, déstabilisés, vont changer d’état et libérer les énormes quantités de gaz qu’ils emprisonnent. Ce qui accélèrera le réchauffement climatique. Les scientifiques appellent ça le point de bascule, celui au-delà duquel il n’est plus possible de revenir en arrière [3].

Et ce point de bascule, c’est pour quand ? Selon les chercheurs de l’université de Yale et de l’Institut Potsdam, c’est pour... 2020 [4]. Dans moins de trois ans, donc. Si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter au-delà de cette date, le dérèglement du climat entrera dans une phase incontrôlable, et les (petits) objectifs de la COP 21 seront balayés comme un fétu de paille. L’attitude minable des dirigeants du G20 face aux Etats-Unis à Hambourg (ne parlons même pas de la Chine) est le signe que le compte à rebours a commencé.

Le précédent de l’extinction permienne

Il y a déjà eu un précédent dans l’histoire. C’était certes il y a longtemps (252 millions d’années), et les scientifiques ne s’accordent pas sur les causes de la plus grande extinction de masse qui marque la limite entre l’ère primaire et l’ère secondaire. 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres ont disparu suite à un réchauffement climatique monstrueux (50°C aux régions équatoriales, 40°C à la surface des océans). Mais la libération de grandes quantités d’hydrates de méthane est une des hypothèses sérieuses.

Voilà l’exemple même du sujet très ambivalent pour moi : terrifiant pour le citoyen déjà très inquiet du saccage des ressources naturelles et de ses conséquences pour le climat, fascinant pour le romancier qui y voit un sujet potentiel de fiction-catastrophe. Mais, on le sait, la réalité dépasse bien souvent la fiction.