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America, belle revue éphémère

Trimestriel conçu pour durer quatre ans, le temps du mandat de Trump, America se donne pour ambition d’expliquer ce qui se passe aux Etats-Unis en laissant la parole à des écrivains. Le dernier numéro s’ouvre à Paul Auster et Stephen King.

Imaginée par l’animateur de La grande librairie (France 5) François Busnel, America existe depuis début 2017, sort tous les trois mois et devrait s’arrêter au bout de quatre ans. Seize numéros collés au mandat de Donald Trump (qu’on espère unique, voire même inachevé) avec pour mission de comprendre ce qui se passe aux Etats-Unis. A la différence que les journalistes sont ici remplacés par des auteurs, américains ou français.

Dans le dernier numéro sorti le 3 janvier, on trouve ainsi un grand entretien avec Paul Auster, un essai de Stephen King sur les armes à feu (Guns), deux textes sur la violence signés Benjamin Whitmer et Ryan Gattis, une rencontre avec Tom Wolfe, un reportage de Véronique Ovaldé dans les rues de Chicago et des textes présentés en VF et en VO : des lettres de Laura Kasischke et un extrait de Sur la route de Jack Kerouac, avec des témoignages d’Allen Ginsberg, Bob Dylan, Colum McCann, William Bourroughs ou Philippe Djian.

En tout, 200 pages très denses entrecoupées d’un splendide portfolio de Kiliii Yüyan sur les survivalistes qui font des stages paléolithiques dans la chaîne des Cascades [1]

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Docteur King et Mister Auster

Le contraste entre l’interview de Paul Auster et l’essai de Stephen King est frappant. Là où le premier, écrivain new-yorkais probablement plus lu en Europe (il est édité en France par Actes Sud depuis la fin des années 80) que dans son propre pays, avoue ne pas avoir vu venir le phénomène Trump, et ne pas comprendre pourquoi Hillary Clinton a été battue, le second décrit avec une précision clinique le mécanisme des tueries de masse et le ballet médiatique des chaînes d’info en continu.

Auster décrit finement le sens du mot libéral et explique en quoi l’Amérique (ou du moins les Etats-Unis) est un pays littéralement inventé, King raconte pourquoi il a demandé à ce que son roman Rage soit retiré de la vente à la fin des années 1990 après une quatrième fusillade impliquant un adolescent se référant à ce titre.

Le premier évoque la haine des élites (pas financières, mais diplômées), le second prône l’interdiction ou la régulation de la vente d’armes automatiques, pas de toutes les armes, et précise qu’il en possède lui-même trois (imagine-t-on Paul Auster avec un fusil de chasse ?).

Connaissez-vous N°45 ?

Ces contrastes font toute la richesse de la revue America. Il n’y a pas un discours unique d’écrivain sur le pays de Donald Trump (Paul Auster refuse de le nommer, et l’appelle N°45), mais autant de discours que d’écrivains, et la superposition de tous ces points de vue, de toutes ces expériences de vie, dessine une carte en relief finalement très précise, plus sans doute que ne le feraient une série d’articles de presse.

Le portrait que fait Véronique Ovaldé de Chicago (ville d’Al Capone, des Blues Brothers et de Barack Obama) est d’autant plus éclairant qu’à ses propres impressions, elle superpose de nombreux témoignages d’habitants glanés dans les rues. Celui de Lauren, 45 ans, est glaçant : « Quand j’ai aménagé à Chicago il y a cinq ans, je suis allée faire du patin à glace avec ma petite fille. Un gamin m’est rentré dedans, je suis tombée et je me suis cassé les deux poignets. Je me suis retrouvée à l’hôpital. J’en ai eu pour 120 000 dollars. Il m’a évidemment fallu un prêt de la banque. De toute façon, ici, il ne vaut mieux pas être pauvre, vieux ou malade. »

Sur le site de la revue, plusieurs écrivains ont été interrogés sur l’arrivée de Donald Trump. Voici par exemple les réponses de Russell Banks et de David Vann :


 


 

[1Pour avoir un aperçu de la maquette d’America, voir son compte Instagram.