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A Ghost Story

Un drap blanc, deux trous pour les yeux et une mise en scène d’une élégance rare font de cette histoire de fantôme le film le plus étonnant de ces dernières années.

C’est bien entendu anecdotique, mais tellement réjouissant : le budget du film de David Lowery doit être à peu près équivalent à celui consacré aux rafraîchissements dans le dernier Star Wars. Avec environ un mille cinq centième de la somme dévolue à Rian Johnson pour jouer au sabre laser, le réalisateur des Amants du Texas a fait un petit bijou cinématographique dont on se souviendra très longtemps.

Finalement, c’est sans doute ça, le cinéma : avant tout une affaire de regard. La représentation la plus banale des fantômes consiste en un drap blanc percé de deux trous pour les yeux. Va pour le drap. Pourquoi se compliquer la vie (ou la mort, en l’occurrence) ? Quand en plus on a au casting une actrice de la brillance de Rooney Mara, tout devient plus facile. Ajoutez à tout ça un format d’image désuet (le 1.33 du cinéma muet) qui restreint le champ visuel comme quand on regarde à travers les trous d’un drap (les angles de l’image sont arrondis) et une lumière crépusculaire qui ajoute à la mélancolie, et vous avez quelque chose de radicalement original.

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Par quoi se manifestent les fantômes, finalement ? Par la présence impalpable des disparus, par des portes qui claquent, des ampoules qui clignotent puis qui grillent, un piano qui résonne en pleine nuit, des livres tombés d’une étagère… Mais aussi par des taches de lumière sur le mur qui rappellent irrésistiblement le Décalogue de Kieslowski.

Pour autant, A Ghost Story n’est pas qu’un exercice de style. L’idée remarquable du scénario, c’est de poser le postulat que les vivants peuvent se déplacer dans l’espace mais sont enfermés dans un éternel présent, alors les fantômes peuvent voyager dans le temps, mais sont coincés au même endroit (la maison et en deçà et au-delà, ce qu’il y avait longtemps avant et ce qu’il y aura longtemps après).

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Ces ellipses temporelles, David Lowery les dessine par un montage très fluide qui donne une impression trompeuse de continuité alors que les jours, les mois et les années défilent. La maison du début où vivait le couple Rooney Mara/Casey Affleck sera vidée, puis à nouveau occupée, puis encore vidée, jusqu’à être rasée au bulldozer. A partir de là, le film s’échappe dans une dimension purement métaphysique d’une beauté singulière, réinterprétant le thème spécifiquement américain du paradis perdu.